Mon premier kaléidoscope de l’année était intitulé: Retrouver le chemin du théâtre…et de la poésie.( voir K128)

   Et c’est vrai que ces quelques jours passés au festival d’Avignon m’ont fait mesurer l’importance de cet art de l’instant, ce spectacle vivant dont nous avons tant besoin. C’était émouvant d’attendre que l’obscurité et le silence prennent possession des planches, C’était émouvant de rire ensemble, d’être émus à nouveau ensemble, de vibrer à nouveau ensemble malgré ces foutus masques et c’était émouvant de voir ces acteurs rayonnants venir nous remercier de notre présence à la fin de leur spectacle. 

   Le spectacle vivant c’est aussi la chanson et un bel article du journal Libération nous transporte plus d’un demi-siècle en arrière, précisément en juillet 1964: à cette époque, Barbara, qui a 34 ans, n’est pas encore très connue même si elle fait les beaux jours ou plutôt les belles nuits de “L’Écluse”, un modeste cabaret parisien de la Rive Gauche où elle se sent bien.

   On peut imaginer que c’est là qu’un certain Hans-Gunther Klein, “grand barbu aux allures d’étudiant timide”, a rencontré l’artiste pour la convaincre de chanter dans son théâtre alternatif de cette jolie petite ville allemande dont Barbara, comme la plupart des Français à l’époque, n’a jamais entendu parler.

   Elle se revoit, petite fille juive -nous sommes moins de vingt ans après la fin de la guerre- qui n’a cessé de se cacher; en 1943, elle a 13 ans et trouve refuge à Saint Marcelin en Isère. Elle n’a vraiment pas envie d’aller chanter en Allemagne mais Gunther insiste tellement,  vantant la beauté de Göttingen, cette ville étudiante, la cité de Goethe tout de même!

   Le premier concert est programmé le 4 juillet…et ça commence très mal: Barbara refuse de jouer sur ce mauvais piano droit alors qu’on lui avait promis un piano à queue. Gunther, avec une cohorte d’étudiants costauds, arpente la ville pour trouver un piano à la hauteur et c’est chez la grand-mère de l’un d’entre eux qu’ils dénichent un beau demi-queue. Le concert commencera avec deux heures de retard…et la communauté étudiante de Göttingen fait un triomphe à Barbara.

   Elle devait rester deux jours, une semaine après elle est encore là et joue deux fois chaque soir, au Jugens Theater, avec le même succès .

   Barbara se promène dans les rues médiévales et découvre la maison à colombages des frères Grimm ( “Et que personne ne s’offense 

                                  Mais les contes de notre enfance

                                  “il était une fois” commencent 

                                   À Göttingen, à Göttingen “)

   “C’est dans le petit jardin contigu au théâtre que j’ai gribouillé “Göttingen”, le dernier midi de mon séjour. Le dernier soir, tout en m’excusant, j’en ai lu et chanté les paroles sur une musique inachevée. J’ai terminé cette chanson à Paris. Je dois donc cette chanson à l’insistance têtue de Gunther Klein, à dix étudiants, à une vieille dame compatissante, à la blondeur des petits enfants de Göttingen, à un profond désir de réconciliation, mais non d’oubli…”

“Bien sûr, ce n’est pas la Seine
Ce n’est pas le bois de Vincennes
Mais c’est bien joli tout de même
À Göttingen, à Göttingen…”

   Dès la première strophe, on est frappé par la simplicité et la spontanéité limpide de la chanson qui lui donne son caractère universel. Barbara l’enregistre l’année suivante, c’est son deuxième album où l’on trouve aussi, “Le mal de vivre”, “Une petite cantate”, “Si la photo est bonne”… Le succès de la dame en noir arrive enfin.

   En 1967 Barbara enregistre “Göttingen” en allemand avec neuf autres titres.

   Aujourd’hui, au sud de  Göttingen, là où des citoyens allemands ont participé aux mouvements antinazis, une rue porte son nom. En 2003, le texte de la chanson est lu dans toutes les classes primaires d’Allemagne et pour les 40 ans du traité de l’Élysée entre la France et l’Allemagne, l’ancien chancelier Helmut Kohl chante les dernières strophes de “Göttingen”, chanson devenue symbole de la réconciliation franco-allemande.

“Ô faites que jamais ne revienne,
Le temps du sang et de la haine,
Car il y a des gens que j’aime
À Göttingen, à Göttingen.


Et lorsque sonnerait l’alarme,
S’il fallait reprendre les armes,
Mon cœur verserait une larme
Pour Göttingen, pour Göttingen.”

                              Prochain kaléidoscope le samedi 21 août.

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