Notre liberté retrouvée ne nous conduit pas forcément à nous enfermer à nouveau dans les salles obscures. Et pourtant quel plaisir de voir avec des amis un film sur grand écran. Même les publicités qui nous horripilaient nous semblent désirables!
Et les bons films se bousculent au portillon: Drunk, The Father, Nomadsland, trois films portés par des acteurs exceptionnels…
Sur un mode mineur -mais pas tant que cela- j’ai vu “Les 2 Alfred”, le dernier film de Bruno Podalydès qui nous avait déjà séduits avec “Comme un avion”.
“Trois ans après sa “Bécassine” inventive et candide, le cinéaste revient connecté comme jamais, les doigts dans la prise de l’époque” écrit joliment Marie Sauvion dans son bon article de Télérama. Après “Adieu les cons” de Dupontel, “Effacer l’historique” du tandem Kervern-Delépine ( avec un Denis Podalydès qui part en guerre contre les géants du numérique -voir K112: Kaléidoscopes ! ) “Les 2 Alfred” s’attaque joliment à nos folies technologiques contemporaines qui envoient, droit dans le mur, notre humanité.
Alexandre ( Denis Podalydès) doit à tout prix trouver du travail et postule dans une grosse boîte baptisée en toute simplicité “The box”pour un job de “reacting Process”. L’entretien d’embauche est hilarant, Alexandre déclare que ses qualités sont l’honnêteté, la gentillesse et l’indulgence et il ajoute, histoire d’aggraver son cas: “et le goût du délire. J’aime bien, de temps en temps, partir en sucette.”
Il est, contre toute attente, embauché …en jurant ses grands dieux qu’il n’a pas d’enfants, -il en a deux en bas âge dont il s’occupe seul -puisque The box interdit à ses employés d’en avoir.
À la crèche il croise Arcimboldo (Bruno Podalydès) . Cet “entrepreneur de lui-même”, esclave des temps modernes, enchaîne les petits boulots comme rechargeur de drones tombant sur les trottoirs parisiens (première image du film) ou “défileur de manif” à la place de ses clients. “Avec les gaz et les lacrymos qui pleuvent, les gens sous-traitent de plus en plus.” À la fin du film, On le voit en “promeneur” de vieux en poussette biplace.
Bruno Podalydès est adepte du mode mineur: “la note un demi-ton en-dessous fait basculer l’accord dans l’incertitude, la mélancolie.”
Dans ce futur trop proche, les voitures autonomes envoient des SMS à leurs propriétaires pour leur annoncer qu’elles vont se recharger et refusent parfois de leur ouvrir. L’”executive woman” qui en fait les frais est incarnée par une Sandrine Kiberlain autoritaire et pète sec qui finira par craquer…
Avec son air de ne pas y toucher, ce film modeste dénonce la déshumanisation progressive d’un monde ultralibéral déjà à l’œuvre : “machines partout, humanité nulle part.” Son humanisme subversif ouvre gentiment des fenêtres poétiques et nous fait parfois penser au film de Gébé, “L’an 01” (45 ans déjà !) avec son éloge anarchiste du pas de côté: “On arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste.”
On ne vous dévoilera pas la fin et la révolte tout en douceur qui vient d’une jeune stagiaire de “The box” horripilée par la soumission des adultes.
Mais me direz-vous pourquoi ce titre insolite ? Les 2 Alfred sont les singes en peluche du bébé d’Alexandre: “Deux singes mais un seul doudou.” Tout un programme.
“Il y a un clin d’œil à Tintin dans “Les 2 Alfred” ( pour tintinophiles avertis)” affirme Bruno Podalydès dans un entretien. J’avoue ne pas avoir trouvé: appel lancé à mes kaléidoscopeurs plus avertis que moi!
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