“Un mois à Sienne”. C’est le titre qui a attiré mon attention: moi qui rêve de retourner en Italie, de revoir Rome, Venise, Sienne ou Lucca… de découvrir Padoue. Moi qui tente jour après jour d’apprendre quelques mots de la langue de Dante.

Hisham Matar? Le nom de l’auteur m’était inconnu. Il a grandi à Tripoli, en Libye, puis au Caire. Il vit aujourd’hui à Londres. Son troisième livre La terre qui les sépare (disponible en folio) est le récit de la douloureuse quête de son père, opposant de Kadhafi, disparu en 1990 en Libye dans les geôles du dictateur. Hisham Matar avait 19 ans; le fils aura le courage de retourner à Benghazi pour savoir si son père est mort ou pour connaître les circonstances de sa mort. “Contrairement à Télémaque, je continue vingt-cinq ans après de regretter d’être le fils d’un homme silencieux dont la mort demeure inconnue.”

L’année où son père disparaît, Hisham Matar qui vit à Londres, développe une mystérieuse fascination pour l’école siennoise de peinture qui se déployait sur les XIIIe, XIVe et XVe siècles. Presque chaque jour, il va à la National Gallery contempler ces tableaux qui vont l’aider à vivre. Puis il va décider de passer “un mois à Sienne” (titre du livre qui vient de paraître aux éditions Gallimard, traduit de l’anglais par Sarah Gurcel) voir les fresques de Lorenzetti.
En 1338 Ambrogio Lorenzetti reçoit commande d’une série de fresques pour le Palazzo Pubblico de Sienne qui est, fait unique à l’époque, une république depuis plus de deux siècles! La fresque du bon gouvernement est à la fois l’éloge des bonnes pratiques du pouvoir et la dénonciation de la tyrannie qui mène à la guerre à l’injustice. Ces fresques sont l’un des premiers tableaux profanes.
La contemplation de ces fresques -qui sont reproduites dans le livre-, ses déambulations dans la ville et la campagne environnante, ses rencontres de hasard, sa marche “au milieu des arbres que Lorenzetti avait peints”, vont être pour Hisham Matar (et aussi pour son lecteur) l’occasion de méditer sur le sens de la création, son pouvoir réparateur, des sortes de béquilles en quelque sorte qui nous aideraient à tenir debout.

Écrit en 2019, “Un mois à Sienne” a pourtant une résonance troublante dans notre monde pandémique. Dix ans après avoir réalisé son “allégorie du bon gouvernement” Lorenzetti -comme la moitié des habitants de Sienne- était emporté par la peste noire. “En à peine plus d’un an la peste a dévasté tout le monde connu de l’époque médiévale, réduisant la population de chaque pays d’une moyenne de quarante cinq pour cent.” Ibn Khaldoun écrit que la peste se montra lorsque les empires étaient dans une époque de décadence et approchaient du terme de leur existence…et il envisageait la possibilité de la fin du monde.

Il y a dans le livre un moment bouleversant où Hisham Matar se trouve, presque par hasard, dans un cimetière, un lieu où il va pouvoir pleurer, lui “l’endeuillé sans tombe” qui vient s’asseoir un moment, écouter les oiseaux et observer le doux balancement des cyprès. “J’ai compris alors que je n’étais pas venu à Sienne pour seulement contempler des tableaux. J’étais aussi venu y faire mon deuil en solitaire, étudier la nouvelle topographie qui s’offrait à moi et déterminer comment avancer désormais.”

En novembre dernier, je consacrais mon 122ème kaléidoscope au livre poignant de l’écrivain turc Ahmet Altan “Je ne reverrai plus le monde. Textes de prison“. La CEDH ( Cour européenne des droits de l’homme), vigie des droits de l’homme sur le continent européen vient de condamner la Turquie à verser une amende à Ahmet Altan, abusivement emprisonné. Dès le lendemain sa condamnation était annulée par la cour de cassation turque et Ahmet Altan remis en liberté.
Autre bonne nouvelle, le prochain roman d’Ahmet Altan “Madame Hayat”sera publié en septembre chez Actes Sud.
Pour en savoir plus, cet article du “Monde”:
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/15/en-turquie-liberation-de-l-intellectuel-ahmet-altan_6076930_3210.html

Pour ne pas oublier, en ce début de printemps, tous ceux qui sont injustement jetés en prison et en particulier les milliers de personnes emprisonnées arbitrairement en Turquie depuis 2016, ces quelques mots d’un autre poète, Joël Vernet :
“Si j’étais en prison, je ne verrais plus les arbres, seulement un coin de ciel par le soupirail. Et la lumière ne surviendrait sont, simplement que malingre sur le grabat. Je ne suis pas en prison, mais d’autres y sont, simplement pour avoir commis le délit d’aimer les arbres, la lumière et la vie. Je lis leurs livres, lorsqu’ils écrivent. Je découvre aussi les témoignages de ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais que l’on a jetés derrière les barreaux pour le seul fait d’aimer la vie par-dessus tout, la vie, la paix, l’amour. Alors, être libre et regarder un arbre, un amour, quoi de plus grand que cette chose si simple?”

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