La nature n’a pas attendu ce premier jour du printemps pour se parer de couleurs: primevères, violettes (blanches ou violettes), coucous, tulipes, pâquerettes …éclaboussent les prés, les pelouses et les bords des routes.
Les arbres commencent à bourgeonner en espérant échapper au confinement du gel, les amandiers et les églantiers défleurissent, très vite relayés par les magnolias et les prunus. Dans cet arc-en-ciel de couleurs il y a un végétal qui reste, inexorablement, d’un vert sombre et brillant : le lierre. Et comme chaque année on s’inquiète de sa prolifération. Nous verrons, tout à l’heure, que nous avons tort.

Mais au fait quelle est la racine -si j’ose dire- étymologique de ce mot ? En latin hedera signifie “être attaché” qui a donné erre puis iere, ierre et même hyerre. Au XIVeme siècle l’ierre s’attache (décidément !) à l’article et devient lierre. Cette plante, née sous le signe de l’attachement, est même devenue le symbole de l’amour fidèle chanté par les poètes comme Louis Aragon :

“Le lierre de tes bras à ce monde me lie
Je ne peux pas mourir Celui qui meurt oublie.”
Ou Yves Bonnefoy : “Plutôt le lierre, disais-tu, l’attachement du lierre aux pierres de sa nuit : présence sans issue, visage sans racine.”

   Mais, de manière plus prosaïque, dès l'antiquité, le lierre a mauvaise réputation. Pline l'ancien dit : "il est nocif pour les arbres et les plantes, et réussit à s'insinuer dans les tombes et les murs." Diable ! Laissons donc la parole à la défense, au lierre en personne que Pierre Déom, le fondateur de La hulotte, le journal le plus lu dans les terriers ( voir K51 : Hulotte, coccinelle et coquelicots ) a réussi, je ne sais comment, à faire parler : "certains ignorants me traitent de plante parasite... Rien de plus faux : si je me sers de l'arbre, c'est comme support, rien de plus. Je suis autonome, j'ai mon propre système de racines. Certes, mes crampons se collent à l'écorce, mais ils se gardent bien de pénétrer à l'intérieur de l'arbre. Et la preuve que je ne suis pas un parasite, c'est qu'un lierre peut fort bien passer sa vie entière sur un poteau électrique en ciment -essayez donc de lui sucer de la sève à celui-là-. La seule chose que je demande, c'est que quelqu'un me fasse la courte échelle pour monter vers le ciel. Pour le reste je ne réclame rien, pas un verre d'eau, pas un gramme de chlorophylle, pas la plus petite goutte de sève!"
   Le lierre ne mérite vraiment pas ce surnom de  "bourreau des arbres" qui lui colle aux feuilles depuis la nuit des temps. Au contraire il absorbe l'excès d'humidité et a une action chimique inhibitrice sur les champignons, bactéries ou parasites pouvant s'attaquer à un arbre. En outre la chute des feuilles apporte des minéraux au sol, ce qui favorise la croissance des arbres.

Encore plus étonnant et, je le reconnais contre-intuitif, “certaines études scientifiques prouvent que, dans certaines forêts, les arbres porteurs de lierre étaient en moyenne légèrement plus grands, plus gros et en meilleure santé que ceux qui en étaient dépourvus. Plus fort encore : en étudiant les anneaux de croissance des troncs, on démontra que certains arbres s’étaient mis à augmenter leur production de bois après que le lierre se soit mis à monter sur leur tronc.” Ces deux numéros de la Hulotte consacrés au lierre (106 et 107) fourmillent d’informations encore plus étonnantes. Je ne savais pas que le miel de lierre est l’un des meilleurs et qu’un lierre âgé d’une trentaine d’années ( la prime jeunesse puisque cette liane atteint facilement 100 ans et même 1000 ans s’il dispose d’un bon support) produisait chaque jour entre un et deux milliards de grains de pollen! J’ignorais que tant d’oiseaux choisissaient le lierre pour y construire leur nid : roitelets, merles, grives, pinsons, geais…et même des écureuils ou des lérots.
Encore plus étonnant, sur les murs des villes (qu’il n’abîme pas, s’ils sont en bon état, mais qu’il protège de la pluie, des dégâts du gel et des écarts de température) le lierre se révèle un extraordinaire filtre à particules : “On a retrouvé jusqu’à 20 000 particules fines sur un seul millimètre carré de lierre.” On n’ira pas, cependant, jusqu’à le laisser aller sur les toits dont il peut facilement soulever les tuiles.
Si je n’ai pas réussi à vous convaincre des bienfaits de ce symbole de l’amitié qui embrasse les arbres sans aucune retenue, lisez ces deux passionnants numéros de la Hulotte, illustrés avec beaucoup d’humour par Pierre Déom lui-même.

À l’occasion du “Printemps des poètes” je donne le dernier mot à Yvon Le Men dans ce bel entretien donné à La Croix L’hebdo: ” Les jardins, c’est nous, et les tempêtes, c’est la vie. Être poète, c’est cultiver des fleurs dans la tempête.”

Bonus!

Merci à Christian qui me fait découvrir ce beau poème d’ Émile Verhaeren.

Le lierre.

Lorsque la pourpre et l’or d’arbre en arbre festonnent
Les feuillages lassés de soleil irritant,
Sous la futaie, au ras du sol, rampe et s’étend
Le lierre humide et bleu dans les couches d’automne.

Il s’y tasse comme une épargne ; il se recueille
Au cœur de la forêt comme en un terrain clos,
Laissant le froid givrer ses ondoyants îlots
Disséminés au loin sur une mer de feuilles.

Pour le passant distrait il boude et il décline
Le régulier effort des œuvres et des jours ;
Pourtant seul sous la terre il allonge toujours
Le tortueux réseau de ses courbes racines.

Sa force est ténébreuse et ne se montre pas :
Elle est faite de volonté tenace et sourde
Qui troue en s’y cachant tantôt l’argile lourde,
Tantôt le sable dur, tantôt le limon gras.

D’après le sol changeant il ruse ou bien s’exalte,
Il se prouve rapide ou lent, brusque ou sournois ;
Son chemin tour à tour est sinueux ou droit ;
Il connaît le détour, mais ignore la halte.

Et, dès le printemps clair, si quelque tronc ardent
Étage auprès de lui ses branches graduées,
Vite il l’assaille et mord son écorce embriquée [briquetée]
Avec l’acharnement d’un million de dents.

Humble et caché jadis sous la terre âpre et nue,
Son travail aujourd’hui se fait dominateur,
Il s’adjuge l’élan et bientôt la hauteur
De l’arbre qu’il étreint pour monter jusqu’aux nues.

Il frémit de lumière et s’exalte de vent,
Sa force est devenue ardente et fraternelle,
Son feuillage léger comme un vêtement d’ailes
Le soulève, le porte et le pousse en avant.

Chaque rameau conquis lui est support et proie ;
Pourtant, ayant appris sous terre à se dompter
Au point de ne lâcher jamais sa volonté,
Il est si sûr de lui qu’il domine sa joie.

Toujours il tord à point sa multiple vigueur,
Fibres après fibres, au creux des moindres fentes,
Et n’écoute qu’au soir tombant les brises lentes
Chanter en lui et l’émouvoir de leurs rumeurs.

Et quand toute son œuvre un jour sera parfaite
Et qu’il ne sera plus qu’un végétal brasier
Serrant en son feuillage un arbre tout entier,
Immensément, depuis les pieds jusqu’à la tête,

Il voudra plus encore et ses plus fins réseaux
N’ayant plus de soutiens s’élanceront quand même,
Dieu sait dans quel élan de conquête suprême,
Vers le vide et l’espace et la clarté d’en haut.

Déjà l’automne aura mêlé l’or et la lie
Au funéraire arroi qui précède l’hiver
Que lui, lierre touffu, compact et encor vert,
Jusqu’au vol des oiseaux dardera sa folie.

Alors, plus libre et clair que ne l’est la forêt,
Il oubliera gaiement qu’il lui est tributaire,
Mais qu’il boive un instant la plus haute lumière,
Qu’importe qu’il s’affaisse et qu’il retombe après !

Et merci à Jean-Paul pour ces derniers vers d’un poème de René Char intitulé : Afin qu’il n’y soit rien changé.

Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du froid.
Ta lampe est rose, le vent brille.
Le seuil du soir se creuse.

J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la pierre de l’éternité.

«Je t’aime », répète le vent à tout ce qu’il fait vivre.
Je t’aime et tu vis en moi.

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