Vous avez apprécié la fraîcheur juvénile et l’ironie de cette Vieille chanson du jeune temps de Victor Hugo.
Malgré les indices, il n’y a que Christian qui ait trouvé les auteurs de ces deux citations sur la poésie. Cela me donne l’occasion de braquer mon petit projecteur kaléidoscopique sur deux poètes dont il faut bien dire qu’ils sont aujourd’hui tombés quelque peu dans l’oubli.
C’est le poète grec Odyssèas Elytis (1911-1996) qui a obtenu en 1979 le prix Nobel de littérature “pour sa poésie qui, sur le fond de la tradition grecque, dépeint avec une force sensuelle et une clarté intellectuelle, le combat de l’homme moderne pour la liberté et la création.”
Proche des surréalistes, de Picasso et de Matisse ses poèmes ont été mis en musique par Mikis Theodorakis et Angélique Ionatos.
C’est le mot résistance qui caractérise le mieux la poésie d’Elytis et, au même titre qu’Aragon et Éluard en France il s’engagera pendant la 2eme guerre mondiale pour libérer la Grèce . Il n’est donc pas surprenant qu’il ait pu affirmer:”La poésie existe pour que la mort n’ait pas le dernier mot.”

L’auteur de cette phrase magnifique :”la poésie est comme la sueur de la perfection mais elle doit paraître aussi fraîche que les gouttes de pluie sur le front d’une statue.” est encore moins connu qu’Elytis. Derek Walcott (1930-2017) a pourtant lui aussi reçu le Nobel de littérature en 1992. Originaire de Sainte Lucie, une des îles du Vent aux Antilles, il est le deuxième écrivain noir, après le Nigérian Woye Soyinka et avant Toni Morisson à l’obtenir. Son œuvre se nourrit autant de celles de Pablo Neruda que d’Aimé Césaire, une œuvre cosmique et multiculturelle saluée en ces termes par le martiniquais Patrick Chamoiseau: ” Entre Derek Walcott et Édouard Glissant, l’un en langue anglaise et l’autre en langue française, il y a une unité de vision, une unité de perception, une connivence au niveau de la vision du monde et de l’examen de la condition humaine aujourd’hui.”
On peut également trouver un point de convergence entre les œuvres de Walcott et d’Elytis, peut-être une même vision cosmique du monde, dans ce même combat pour la liberté. Et l’on n’est pas outre mesure surpris que Derek Walcott ait composé une adaptation contemporaine de l’Iliade aux Caraïbes intitulée Oméros.
En voici un court extrait:

” Puis, le silence est coupé en deux par une libellule
alors que les anguilles écrivent leur nom sur la plage claire,
lorsque le lever du soleil illumine la mémoire de la rivière
et que les vagues d’énormes fougères hochent au son de la mer.
Même si la fumée oublie la terre d’où pourtant elle s’élève,
et même si les orties comblent les trous où moururent les lauriers…”

Mais, me direz-vous, vous le lecteur attentif de cet ultime kaléidoscope de l’année ( qui fait donc relâche pour la trève des confiseurs) qui diantre a donc écrit cette maxime frappée au coin du bon sens: “On ne peut trouver de poésie nulle part, quand on n’en porte pas en soi.”? Je ne vais pas vous faire languir jusqu’à l’année prochaine. Joseph Joubert est lui aussi un illustre inconnu qui n’a pas publié un seul mot de son vivant. Il faut dire que le gaillard échappe aux classifications : ni poète, ni romancier, ni philosophe il a consigné ses pensées pendant plus de 40 ans dans des Carnets qui n’ont été publiés qu’après sa mort. Né en 1754 en Dordogne, il fréquenta Diderot à Paris, étudia la philosophie, la musique et la peinture. Se contentant de cultiver ses amitiés et de méditer, il était avant tout un observateur, écrivant chaque jour “ces pensées (qui) ne servent pas seulement de fondement à mon ouvrage, mais à ma vie.”
À sa mort en 1824 Chateaubriand fit son éloge en ces termes : “C’était un de ces hommes qui attache par la délicatesse de leurs sentiments, la bienveillance de leur âme, l’égalité de leur humeur, l’originalité de leur caractère, par un esprit vif et éclairé s’intéressant à tout et comprenant tout. Personne ne s’est plus oublié et ne s’est plus occupé des autres.”
C’est lui qui fit publier ses “pensées” en 1838.
Ce n’est qu’un siècle plus tard que les écrits de Joubert sont publiés par Gallimard en deux volumes intitulés Carnets.
On y trouve des pépites comme celles-ci :

Une pensée est une chose aussi réelle qu’un boulet de canon.

Enseigner, c’est apprendre deux fois.

J’ai de la peine à quitter la ville parce qu’il faut me séparer de mes amis ; et de la peine à quitter la campagne parce qu’alors, il faut me séparer de moi.

Le bavard est celui qui parle plus qu’il ne pense. Celui qui pense et qui parle beaucoup ne passe point pour un bavard.

Le grand inconvénient des livres nouveaux est de nous empêcher de lire les anciens.

Enfin voici peut-être ma préférée sur laquelle je vous laisse méditer jusqu’à l’an prochain :

Quand mes amis sont borgnes, je les regarde de profil.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *