Patrick Modiano, dans la belle “Grande Librairie” que lui a consacrée François Busnel à l’occasion de la parution de son dernier livre Encre sympathique , rappelait que les valeurs littéraires se sont inversées : au XIXE siècle, on considérait que le roman était moins important que le drame ou que la poésie, art majeur. Baudelaire, Verlaine ou Rimbaud étaient des écrivains plus reconnus que Balzac ou Flaubert.
Encore aujourd’hui, dans quelques pays, comme l’Irlande, l’Iran ou la Russie, l’art suprême est la poésie.
En Finlande – où 70 % des Finlandais lisent des livres à haute voix à leurs enfants- , la poésie est aussi très populaire : les poètes font des tournées de lecture dans tout le pays . Ces “poésie-sessions ” sont très prisées par les jeunes et un poète comme Heli Laaksomen draîne un public considérable lors de ses représentations. Même la télévision finlandaise donne à la poésie voix au chapitre en diffusant des clips poétiques.
En France, la poésie est beaucoup plus confidentielle… et nous connaissons mal les poètes traduits du finnois. Mais grâce à l’emblématique collection Poésie/Gallimard nous avons accès à l’œuvre d’un immense poète finlandais Pentti Holappa. Son recueil intitulé Les mots longs (poèmes 1950-2003) nous permet de pénétrer dans un univers de tension extrême, une combinaison de fureur et de mystère que n’aurait pas reniée René Char.
Son traducteur, Gabriel Rebourcet, termine ainsi sa préface :” Pentti Holappa trace en cela une voix exemplaire pour l’aventure poétique: porteur d’une charge culturelle pesante, pris dans les mots d’une langue mythique, il en a ciselé la puissance et les images, pour les livrer ensuite à sa créativité sauvage et différente. Un pacte de liberté entre sa culture et l’individu.”
Voici deux poèmes, écrits à seize ans d’intervalle, d’un homme qui fut ministre de la Culture dans son pays, a vécu longtemps en France et a traduit en finnois – excusez du peu! – Reverdy, Bonnefoy, Sarraute et Baudelaire.

GRONDEMENT

Un vol d’oiseaux traverse le ciel glacé,
la forêt s’étire en elle-même. J’écoute
ton souffle à des lieux. Dans tes pensées
il y a un rocher, une montagne, il en roule
un flot de lave, tu frémis dans ta cape minérale.
Je le ressens jusqu’ici. Pas une branche
ne bronche, un flocon tombe à terre.

MIGRATEURS

Un vol de grues, trente-cinq oiseaux, traverse la Baltique direction le sud.
La Voie lactée les guide, piste des oiseaux, même s’il ne fait pas nuit.
Car elles voient au-delà de la lumière.

Hubble n’est pas seul à regarder le ciel. Si on ouvre sa paupière, elles capturent la tempête creusée par les étoiles dans les profondeurs, destin sans imagination.

Printemps et automne, on vient de naître et on mourra bientôt.
On vole par-dessus les mers, on revient vers le nord.
Appel au vol migrateur comme la baleine : on vit ensemble.

Ne pas être seul, on entend l’air couler à travers le plumage,
quand l’oiseau voisin son semblable bat l’air de ses longs membres ailés par-dessus le vide.
La Terre est devant, les glaciers derrière.

L’amitié est là.

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