Si vous aimez les sagas familiales et la musique de Jean-Sébastien Bach, en particulier les Variations Goldberg interprétées par Glenn Gould, ce livre est pour vous !
C’est le quatrième roman de la canadienne anglophone Madeleine Thien née en 1974 et je dois avouer que j’étais passé à côté des trois précédents. Celui-ci m’aurait aussi échappé sans l’insistance de Pascal de la librairie Les Petits Papiers d’Auch. Il en a vendu, à lui seul plus d’une centaine.
Nous qui n’étions rien commence – après un arbre généalogique indispensable pour ne pas s’y perdre – à Vancouver en 1991 , où une famille accueille Ai-ming, une jeune femme ayant fui la Chine après la répression impitoyable des manifestations de la place Tian’ anmen.
Il serait vain de vouloir résumer les 500 pages de ce roman dense où l’on suit pas à pas une famille de musiciens au moment des années sombres de la révolution culturelle où tout le monde se méfie de tout le monde, où les trahisons s’ourdissent au sein des familles, où l’autocritique est une obligation et où la violence révolutionnaire est paroxystique. Les Chinois revivent l’époque stalinienne où les intellectuels devaient en permanence se soumettre aux diktats d’une caste d’un sectarisme ahurissant.
Il y a au cœur du livre des pages sublimes sur la musique, sur la création musicale et artistique, sur l’amour qui lie les membres de cette famille de mélomanes : “Le lendemain Pinson l’installa devant le tourne-disque et fit jouer toute la musique qu’il put trouver. Son cousin écoutait les yeux fermés, et Zhuli l’imita. Dans sa tête, la musique construisait des colonnes et des arches, dégageant un espace, dedans comme dehors, une nouvelle conscience. Il y avait donc bel et bien des mondes enfouis dans d’autres mondes, mais il fallait d’abord trouver la brèche, la porte d’entrée .”
Le lecteur suit à la trace Wen le rêveur après son évasion du camp et s’interroge sur ce mystérieux “livre des traces” qui surgit à intervalles réguliers : “Au bout du compte je crois que ces pages et le Livre des traces reviennent tous à la persistance d’un désir, celui de connaître l’époque où nous avons vécu. De conserver les traces qu’il faut conserver et aussi, enfin, de lâcher prise. Voilà ce que je dirais à mon père. De croire qu’un jour quelqu’un conservera la trace.”
Le New York Times dit très justement que “Nous qui n’étions rien” est une grande saga qui se déploie comme de la soie et se révèle résistante aux noeuds. Merci aux éditions Phébus de permettre une telle découverte.

Étonnant Jean-Paul Dubois ! Lui qui affirme n’écrire qu’au mois de mars. Le reste du temps ? Il vit sa vie. Comme si écrire ne faisait, pour lui, pas partie de la vie. Autant vous dire que l’agitation de la rentrée Littéraire lui est un tantinet étrangère.
On retrouve dans Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon ce va et vient entre Toulouse et le Nouveau Monde, le deuil, des parents dysfonctionnels, un chien, des voitures et un personnage nommé Paul qui, cette fois-ci purge sa peine dans une prison de Montréal en compagnie d’un Hells Angels monumental qui veut “ouvrir en deux” une bonne moitié de l’humanité mais se révèle d’une émouvante fragilité.
On ne se lasse pas de l’humour profondément humain de Dubois, de sa délicatesse dans l’évocation de l’amour pour cette femme mi-Amérindienne mi-Irlandaise jaillie des neiges et des eaux qui pilote avec une instinctive dextérité un hydravion en compagnie de son chien. ” Le tact de Jean-Paul Dubois est tel qu’il lui permet de fabriquer de l’aérien avec de la trivialité.”

Voici donc deux livres tellement différents, deux univers, deux embardées dans les profondeurs de l’âme humaine, deux exemples des pouvoirs de la littérature. Avec deux bouts de crayon Thien et Dubois nous embarquent dans leur monde qui devient au bout de quelques pages le nôtre .
Nous suivons Pinson dans les rues de Pékin et sur la place Tian’anmen , nous sommes en prison avec Paul. Nous partageons leurs émotions, nous nous identifions à eux et , quelque part, ils nous aident à voir plus clair dans notre propre univers. Nous avons partagé pendant quelques heures leur destin et au moment où j’écris ces lignes leur histoire continue à infuser dans la mienne. Il est possible que je les oublie un jour comme j’ai oublié tant de livres lus depuis l’enfance mais je sais que les plus intenses, les plus nécessaires, s’ajouteront aux traces de récits qui m’ont nourri depuis toujours.
Les auteurs insufflent la vie à des personnages dont le souffle se mêlera au nôtre.

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