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KALÉIDOSCOPES !

Fragments culturels paraissant chaque samedi matin

  Kaléidoscope 330: L’infini dans un roseau. L’invention des livres dans l’antiquité. En bande dessinée.

         

   Il y a tout juste quatre ans qu’est paru en France L’Infini dans un roseau, magnifique essai d’Irene Vallejo traduit de l’espagnol par Anne Plantagenet . (voir K166) Avec un tel succès qu’il est paru en collection de poche où il a été récompensé du « Prix du Livre de Poche ». Aujourd’hui traduit en 39 langues, il est en cours de publication dans plus de 60 pays. En cette rentrée littéraire abondante et riche, son adaptation en bande dessinée paraît, toujours aux éditions Les Belles Lettres -éditeur emblématique des textes latins et grecs-, adaptée et illustrée par Tyto Alba.

   Si vous avez lu les 550 pages de l’essai d’Irene Vallejo, ce récit graphique de 200 pages ne vous est pas indispensable. Mais il a le grand mérite de nous montrer les origines fascinantes de l’écriture. Inventés il y a 5000 ans, les ancêtres de nos livres étaient des tablettes d’argile : il n’y avait pas de roseau de papyrus en Mésopotamie. Les Sumériens creusaient dans l’argile molle avec un stylet… et c’est, paradoxalement, grâce au feu qui a détruit tant de livres que ces tablettes -cuites comme dans un four de potier- nous sont parvenues.

   Irene Vallejo et Tyto Alba nous embarquent dans leur sillage de conteuse et de dessinateur au cœur de la bibliothèque d’Alexandrie trois fois détruite et récemment reconstruite. Ils nous racontent la force et la fragilité des livres, leur pouvoir de résistance, « l’étymologie du mot contient un vieux récit des origines. En latin, liber, qui signifiait « livre », était au départ le nom de l’écorce de l’arbre. » Dans les langues latines, de livre à libre il n’y a qu’un pas qui nous permet d’assimiler la lecture à la liberté.

   On y apprend que le premier auteur du monde à signer un texte de son propre nom, il y a 4300 ans, est une femme, la poétesse mésopotamienne Enheduanna, 1500 ans avant Homère.
 En même temps, Irene Vallejo nous rappelle que la démocratie athénienne a été fondée sur l’exclusion des femmes ainsi que des étrangers et des esclaves.

   Je ne savais pas que beaucoup d’esclaves grecs étaient plus cultivés que leurs maîtres: « Les nobles romains avec des aspirations culturelles pouvaient se présenter un matin sur les marchés bien approvisionnés de la capitale pour s’acheter un intellectuel grec à leur goût, qui éduquerait leurs enfants, ou leur confèrerait simplement le prestige d’avoir un philosophe en réserve à demeure. »

   Cicéron avait une vingtaine d’esclaves de ce type: secrétaires, bibliothécaires, scribes, « lecteurs à voix haute »… Ses esclaves rangeaient les rouleaux sur les étagères des bibliothèques de ses nombreuses maisons, tenaient à jour le catalogue, calligraphiaient et copiaient à toute vitesse les œuvres du maître dont Irene Vallejo dresse un portrait peu flatteur: « Cicéron était un auteur très prétentieux, très prolifique et il avait beaucoup d’amis. »

   On apprend aussi qu’un général athénien fit raser la tête d’un esclave et  tatouer (à son insu) un message sur son crâne, puis envoya ce messager involontaire à son gendre pour entraîner son armée dans la révolte.
   On y apprend qu’il fallait des centaines de peaux de veaux (le mot vélin vient de là ) pour un seul exemplaire de la Bible de Gutenberg.

   Sachez que si vous avez gravé le nom de l’être aimé à la pointe d’un canif sur l’écorce d’un arbre, votre geste s’inscrit (c’est le cas de le dire) dans une longue tradition: Calimaque, le bibliothécaire d’Alexandrie évoque cette « pratique amoureuse » il y a 23 siècles. « Qui sait combien de ces arbres finirent par devenir des livres? »

    Irene Vallejo et Tyto Alba font le portrait de Borges, véritable bibliothèque vivante qui montre le caractère indépassable du livre: « De tous les instruments de l’homme, le plus étonnant est, sans doute, le livre. Les autres sont des extensions de son corps. Le microscope et le télescope sont des extensions de sa vue ; le téléphone est une extension de la voix ; puis nous avons la charrue et l’épée, extensions de son bras. Mais le livre est différent : le livre est une extension de la mémoire et de l’imagination. »

  Le livre fourmille d’anecdotes comme celle-ci: dans un restaurant de Barcelone qui réunissait dans les années 70 la fine fleur de la littérature latino-américaine, entre autres Mario Vargas Llosa, Gabriel García Márquez, José Donoso…il fallait noter par écrit sa commande et la remettre ensuite au serveur. « Mais comme ils buvaient et discutaient , ils ne prêtaient pas attention au menu ni aux regards insistants des garçons. Finalement, le maître d’hôtel fut obligé d’intervenir, irrité par tant de bavardage passionné et une telle indifférence gastronomique. S’adressant à eux sans les reconnaître, il leur lança d’une voix courroucée: « Personne ne sait donc écrire à cette table? »

   Il y a aussi dans le livre de magnifiques passages sur les librairies et les libraires que je vous laisse découvrir…  La BD met ainsi en lumière sur une double page les librairies ambulantes qui, il y a 2500 ans en Grèce, vendaient des rouleaux littéraires sur le marché de l’agora à Athènes. Des bibliobus avant l’heure!

                       


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