Tout au long de sa vie, Bertolt Brecht, surtout connu pour son œuvre théâtrale et ses mises en scène au Berliner Ensemble après la deuxième guerre, n’a cessé d’écrire des poèmes qui explorent aussi les thèmes de ses pièces: la critique sociale, la lutte contre le fascisme et le totalitarisme, l’antimilitarisme, la critique de la société bourgeoise, la réflexion sur le rôle de l’artiste et de l’intellectuel… Dès les années 20 Brecht récitait et chantait lui-même ses poèmes en s’accompagnant à la guitare.
Ariane Ascaride fera entendre la poésie de Bertolt Brecht ce vendredi 18 octobre au théâtrede Vienne à 20h30 en compagnie de l’accordéoniste Daniel Venitucci. Le titre du spectacle Du bonheur de donner est un hommage que l’actrice rend à la bienveillance, à l’humour et au sens du spectacle de Bertolt Brecht dont elle dit qu’ « il parvient à traduire les émotions, les colères, les désespoirs de ceux qui appartiennent au monde des dominés. Et il les traduit dans toute leur complexité. Les dominés chez lui ne sont pas forcément des héros ni des pauvres gens. Brecht montre que ceux qui ont des richesses font en sorte que ceux qui n’ont rien se volent ou se tuent entre eux, ce qui permet aux structures de la société capitaliste de perdurer. C’est pourquoi Brecht est encore gênant. »
Avant le spectacle, ce même vendredi à 19h15, en partenariat avec la librairie Lucioles, qui proposera l’essentiel de l’œuvre de Brecht, j’aurai le plaisir de présenter au bar du théâtre, dans le cycle de rencontres intitulé Acte 1, scène 0, en compagnie du directeur du théâtre Michel Belletante, la vie et l’œuvre de ce grand créateur qui a révolutionné la manière d’écrire et de mettre en scène le théâtre au vingtième siècle. L’entrée est libre, même si vous n’avez pas réservé le spectacle d’Ariane Ascaride.
Bertolt Brecht est né en 1898 en Bavière dans une famille bourgeoise. Traumatisé par son expérience d’infirmier pendant la guerre, il écrit ses premières pièces « Baal » et « Tambours dans la nuit » en 1919, marquées par sa révolte anarchiste et sa violente critique de la société bourgeoise qui a produit cette tuerie absurde de la première guerre.
À Berlin en 1924, il rencontre l’actrice Helene Weigel qui deviendra sa femme et le compositeur Kurt Weill avec qui il crée « L’opéra de quat’sous » en 1928 qui révolutionne la comédie musicale. Cette satire mordante de la société capitaliste met en scène dans les bas-fonds de Londres des personnages inspirés de « L’opéra des gueux » de John Gay.
L’arrivée au pouvoir en Allemagne des Nazis, qui interdisent et brûlent ses écrits au cours du sinistre autodafé du 10 mai 1933, pousse Bertolt Brecht à l’exil, en Scandinavie puis aux États-Unis. Il y écrit, entre autres, « Grand-peur et misère du IIIème reich » en 1934, « Mère Courage et ses enfants » en 1940, « La vie de Galilée »…
La place manque ici pour évoquer la vie et la création d’un homme dont l’œuvre théâtrale est aujourd’hui beaucoup moins présente que dans les années 70 ou 80. Elle est pourtant d’une brûlante actualité au moment où la guerre est à nouveau présente sur le continent européen et où l’extrême-droite est au pouvoir… ou aux portes du pouvoir dans plusieurs pays: « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde » écrit, au moment où Chaplin crée « Le dictateur », Bertolt Brecht dans l’épilogue de «La résistible ascension d’Arturo Ui », pièce écrite en exil en 1941, satire de l’ascension d’Hitler, transfiguré en chef de gang au service du trust des choux-fleurs de Chicago!
Je termine ce kaléidoscope par un poème de Brecht caractéristique de son humour caustique et faussement naïf que nous retrouverons dans le spectacle d’Ariane Ascaride:
Questions d’un ouvrier qui lit
Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des Rois.
Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la Muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent ce soir-là les maçons ? Rome la grande
Est pleine d’arcs de triomphe. Qui les érigea ? De qui
Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée.
N’avait-elle que des palais
Pour les habitants ? Même en la légendaire Atlantide
Hurlant dans cette nuit où la mer l’engloutit,
Ceux qui se noyaient voulaient leurs esclaves.
Le jeune Alexandre conquit les Indes.
Tout seul ?
César vainquit les Gaulois.
N’avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier ?
Quand sa flotte fut coulée, Philippe d’Espagne
Pleura. Personne d’autre ne pleurait ?
Frédéric II gagna la Guerre de sept ans.
Qui, à part lui, était gagnant ?
A chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins ?
Tous les dix ans un grand homme.
Les frais, qui les payait ?
Autant de récits,
Autant de questions.
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