Depuis plus de vingt ans la traductrice Anne-Laure Tissut nous fait découvrir des écrivains américains importants et singuliers.

Nous l’avons connue  à la librairie Lucioles au moment où elle est venue accompagner Percival Everett, notre Prix Lucioles 2008 pour Blessés. Et elle est depuis Effacement jusqu’à Châtiment paru en début d’année la voix française de cet écrivain insaisissable, arpentant les chemins du roman noir, faisant des incursions dans le roman « western », le fantastique, la philosophie ou la poésie. Percival Everett n’est jamais là où on l’attend… mais toujours là dans les douze livres de sa traductrice française.

   Anne-Laure Tissut est aussi la traductrice de Laird Hunt que j’avais découvert au festival America de Vincennes avec Neverhome, un magistral roman où Constance, au moment où éclate la guerre de sécession, travestie en homme, s’engage à la place son mari malade.

    C’est encore une femme puissante et déterminée qui est au centre de Zorrie, le nouveau roman de Laird Hunt. Anne-Laure Tissut a accepté, à ma demande, d’écrire quelques lignes sur ce livre qu’elle vient de traduire et qui est paru en janvier aux éditions Globe: «  Zorrie est une petite musique, intense bien que discrète, qui tient le lecteur, jusqu’au bout, et l’habite, au rythme des saisons, des générations, des événements de la vie, heureux et malheureux. Tout en pudeur et en délicatesse, ce roman dit l’endurance et l’émerveillement, avec juste ce qu’il faut de mots, pesés, mesurés, comme des graines que l’on sème en terre. Portée par cette petite musique, fredonnée en continu, j’ai traduit des silences : par d’autres silences, chargés d’images et d’émotions venant colorer chaque mouvement de la vie du personnage, et les relier entre eux, tissant les fils d’une existence. L’existence de Zorrie, femme ordinaire extraordinaire, belle de générosité et d’attachement à la vie. »

   Et c’est vrai que le lecteur s’attache à cette femme simple, et on n’est pas surpris que l’auteur qui aime la littérature française ait mis en exergue une phrase de Gustave Flaubert, tirée d’ « Un cœur simple ». 

   Laird Hunt n’a pas son pareil pour dire l’indicible de l’existence, les petits riens de la vie ordinaire. Et pourtant, comme le dit Flaubert dans une lettre à Louise Collet: « Ce n’est pas une petite affaire d’être simple. » On pressent que Laird Hunt porte en lui depuis longtemps ce personnage attachant de Zorrie, inspiré par sa grand-mère avec laquelle il va vivre à l’âge de treize ans dans sa ferme au cœur de l’Indiana, après le divorce de ses parents. 

   L’écriture de Laird Hunt semble condenser le temps et nous faire pénétrer au cœur du mystère des personnages, au cœur de leurs rêves, de leurs joies et de leurs tristesses. Le lecteur est frappé par cette délicatesse, ces petites touches de pinceau impressionnistes. On aimerait avoir écrit des phrases comme celles-ci: « à ces mots, une larme apparut au coin de l’œil de Marie. Elle avait dû la sentir glisser à l’oblique le long des rides dont les décennies l’avaient marquée car elle leva une main et l’arrêta juste avant qu’elle semble près de basculer le long de la courbe de la pommette. Elle dit qu’elle espérait que l’inventeur des larmes, qui que ce soit, avait déposé un brevet, parce qu’il y avait une fortune à en tirer. »

    C’est encore Anne-Laure Tissut qui a traduit Baumgartner, le dernier roman de Paul Auster dont nous espérons qu’il ne sera pas l’ultime comme le laisse craindre l’entretien qu’a donné cet immense écrivain au Guardian: « ma santé est trop fragile : ce sera sans doute le dernier livre que j’aurais écrit. » 

   Voici les mots que m’a envoyé sa traductrice que je remercie pour avoir pris le temps de les écrire: « Ce court roman plonge le lecteur dans l’épaisseur du temps. Il donne à en éprouver la texture, faite de variations, de destins croisés, d’attente et de regret. Tandis que l’on suit Baumgartner, Leopold Bloom du XXIe siècle, dans les menus détails du quotidien, la lisse surface routinière s’entrouvre pour laisser déferler le flux d’une conscience en éveil, et en tension : entre le passé tendrement chéri, le présent marqué par la perte et l’absence, et l’avenir, du désir et des projets. Parce que la vie est plus forte et que l’être aimé jamais ne disparaît. Ses appels, même discrets, s’élèvent du silence, ses clins d’œil viennent illuminer le vide. Voilà une belle histoire d’amour qui ne finit pas. »

   Une génération sépare Paul Auster né en 1947 de Laird Hunt né en 1968 mais ils ont tous deux vécu dans leur jeunesse à Paris, sont des amoureux de la littérature française et de sa poésie et parlent très bien le français. Leurs deux livres, tour à tour lumineux et sombres, laissent la place à la distance de l’humour.

   Même si Baumgartner et Zorrie ( un nom et un prénom) sont des livres très différents, il y a au cœur de ces deux courts romans le même voyage dans les méandres et les spirales de la mémoire, la présence lancinante de l’amour et du deuil, une même simplicité d’évocation et la même délicatesse des sentiments, la perte et le temps qui file entre les doigts de personnages vieillissants, difficiles à consoler et attachants – nos semblables, nos frères et sœurs-, dont l’existence résonnera longtemps dans la mémoire du lecteur. À vrai dire, c’est bien l’une des raisons d’être de la littérature!

   Si, comme moi, vous êtes curieux des arcanes de la traduction, le livre de Josée Kamoun, Dictionnaire amoureux de la traduction, vous enchantera. La traductrice –entre autres– de Philip Roth, Jacques Kerouac, John Irving, Richard Ford… nous embarque dans un voyage au cœur de ce métier de passion et de recréation.

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