Au moment où se déroule en France -du 9 au 25 mars- le 25ème Printemps des Poètes, paraît l’ultime livre de Christian Bobin (dans la belle collection Blanche de Gallimard) Le murmure publié un peu plus d’un an après sa mort ( voir K211 ). Chaque année le Printemps des Poètes décline un mot, l’an dernier c’était « frontière », cette année «la grâce », pour l’an prochain et la lettre H, je propose une denrée de plus en plus rare, l’humour!
S’il avait été encore de ce monde, Christian Bobin aurait été le parrain idéal de ce Printemps tant la grâce est au cœur de son œuvre, tant il rend grâce à la vie, même lorsqu’elle l’abandonne et lui donne le coup de grâce comme en témoigne chaque page de ce livre ultime.
Commencé chez lui au Creusot, en juillet 2022, Le murmure est chuchoté sur son lit d’hôpital durant les deux mois précédant sa mort, le 23 novembre.
Comme dans la plupart de ses livres, les formes courtes dominent, des fragments, des éclats, des fulgurances qui, même lorsqu’elles nous échappent et nous semblent étranges, ne nous sont jamais étrangères et impriment en nous leurs modestes vibrations.
La mort et l’amour s’y frôlent en permanence, mais aussi la musique, essentielle. Glenn Gould était au cœur de l’homme-joie, le livre qu’il était venu présenter à la librairie Lucioles il y a plus de 10 ans, (et résonne encore le rire tonitruant de Christian Bobin) : « Un prénom vif et sec comme l’attaque d’une sonate— Glenn. Un nom plus sourd, la vibration maintenue du nom comme dans les profondeurs d’un adagio— Gould. Glenn Gould, renard des neiges, marmotte des sons. Il joue Bach, et encore Bach , et surtout Bach. Il pourrait à vrai dire jouer n’importe quoi : le charme serait toujours le même, la grâce d’un prince adolescent, le charme d’un départ sur la pointe des notes. » Dans Le murmure ce sont les notes du pianiste Grigory Sokolov qui résonnent: « Le docteur Sokolov m’a fait une transfusion de Chopin. Pendant quelques jours, j’ai été protégé de tout et ouvert à tout. »
Mais le chant est aussi celui des oiseaux et de la nature dans son évidente simplicité.
« Le vol magique des étourneaux, seconds violons du ciel. Quand ils rencontrent un obstacle –comme d’un roc qui dépasse une rivière–, ils scindent en deux cette masse de grâce sans se heurter, vite recomposent leur amitié après le franchissement de l’épreuve. Cette passe s’appelle le murmure. »
« Une marguerite solitaire dans un pré toute seule, triomphante dans sa solitude : elle était plus forte que les livres. J’en suis encore ébloui. L’univers reposait sur ses pétales blancs … quand rien ne se passe, il se passe beaucoup de choses. »
Le livre ultime de Christian Bobin n’est pas un livre de mort et de désespoir, mais un chant d’amour et d’espoir. Et ses mots sont vivants pour l’éternité…
« L’encre est une fourche. Je m’en sers pour piquer dans une meule de silence, ramener une botte de feu et la balancer tous muscles tendus dans la charrette des jours. »
« l’écriture est un linge frais tendu sur un fil d’encre. »
« Puisque je n’ai plus le temps, eh bien je vais le prendre. »
« Si ce livre devait être le dernier, alors il faudrait qu’il soit le plus jeune de tout ce que j’ai écrit. »
« Mon chant sera court. La fin du monde va vite, il me faut aller plus vite encore et la doubler, faire s’ouvrir sur la page ce qui s’appelle une âme, la tienne. »
« Je suis au bout du langage. La poésie n’est rien, l’écriture n’est rien, la musique n’est rien. Mais ce qui n’est rien ignore la mort. Les larmes et les sourires sans cause survivent à la fin du monde. On va vers des jours extraordinaires. »
Prochain kaléidoscope le samedi 23 mars.
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