Qui ne connaît aujourd’hui la marque IKEA? Créée en 1943, la firme suédoise qui a fêté l’an dernier ses 80 ans s’est imposée dans le monde entier, comme Coca-Cola et McDonald’s, mais elle jouit d’une image beaucoup plus flatteuse qu’elles.

   Les documentaristes Marianne Kerfriden et Xavier Deleu ont décidé d’enquêter sur le géant suédois qui revendique un modèle scandinave vertueux, le logo de l’entreprise reprenant les couleurs du drapeau de la Suède. Le moins qu’on puisse dire est que leur documentaire programmé cette semaine sur Arte et visible en replay, sobrement intitulé Ikea Le seigneur des forêts écorne quelque peu cette vision radieuse. 

   Il est vrai qu’IKEA est entré dans nos vies, dès les années 70 avec une belle image d’entreprise soucieuse de l’environnement, proposant des meubles en bois à monter soi-même, offrant généreusement ce fameux catalogue tiré jusqu’à 220 millions d’exemplaires, un tirage lui permettant de rivaliser avec celui du petit livre rouge chinois et de la bible!

  Dès le départ, les clients d’ IKEA se voient imposer un parcours qui les oblige à découvrir l’ensemble des produits du magasin. Un système qui favorise les achats d’impulsion. Chacun peut témoigner qu’il est souvent reparti d’IKEA avec des objets qu’il n’avait absolument pas envisagé d’acquérir en y entrant.

   Comme le dit Xavier Deleu dans un entretien donné à Télérama « En retournant aux racines de l’entreprise, on mesure à quel point elle est à la source de ce qu’est la société de consommation. En développant avant l’heure des supermarchés, mais aussi en étant précurseur de la délocalisation de la production, ou du système de sous-traitance. »  En effet, dès 1960, IKEA délocalise sa production en Pologne et aujourd’hui la Chine est le premier producteur de l’enseigne. La firme consomme un arbre toutes les deux secondes et est responsable de l’abattage de 1% des forêts chaque année. 

   Dans leur enquête au long cours, les réalisateurs nous entraînent de la Pologne au Brésil, en passant par la Roumanie et la Nouvelle-Zélande sur les traces d’un ogre qui dévore chaque année 200 millions de m3 de bois, le plus souvent au mépris de l’écologie et de la préservation des écosystèmes, le plus gros consommateur de bois au monde. On apprend au passage que le label international FSC ( Forest Stewardship Council, en français Conseil de soutien de la forêt) qu’arbore fièrement Ikea n’a en rien contribué à freiner la déforestation à tel point que Greenpeace, qui a contribué à créer FSC, l’a quitté en 2018 en dénonçant en particulier la corruption. À titre d’exemple les coupes rases de la forêt boréale de Suède pour alimenter Ikea ont obtenu le label FSC! Et on est sidéré de découvrir les images de ces massifs forestiers transformés en paysages lunaires.

   Les réalisateurs n’ont jamais réussi à entrer en contact avec les dirigeants de la multinationale qui s’est contentée de l’envoi de quelques mèls, véritables modèles de langue de bois! En revanche, le témoignage de Johan Stenebo, ancien assistant d’Ingvar Kamprad, le fondateur d’Ikea, est accablant et démonte point par point le modèle de la firme qui ne cherche qu’à s’enrichir. Son chiffre d’affaires annuel est aujourd’hui de 34 milliards d’euros et sa structure juridique complexe lui a permis d’éviter de payer plus d’un milliard d’euros de taxes sur la période 2009-2014.

   On espère que ce documentaire accablant où des militants écologistes témoignent des intimidations et même des menaces de mort dont ils ont été victimes de la part des « mafias du bois » contribuera à freiner la fuite en avant de l’ogre suédois qui n’hésite pas à acheter 23000 hectares de terres en Nouvelle-Zélande afin d’y planter des pins sur des terres appartenant aux Maoris qui dénoncent avec force et dignité dans le film ces pratiques de Greenwashing qui permettent à IKEA de compenser ses énormes émissions de CO2.

    Rien n’est moins sûr, comme le dit Marianne Kerfriden: « même quand des scandales éclatent -révélations sur le passé nazi d’Ingvar Kamprad,  travail des enfants ou huile de palme dans les bougies, ça semble glisser sur l’opinion, comme sur une poêle antiadhésive. »

    Raison de plus pour voir ( sur Arte.TV jusqu’au 26 septembre) ce modèle de journalisme d’investigation.

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