Tout le monde a oublié dans quelles conditions des ouvriers étrangers, asiatiques pour la plupart, ont construit les installations nécessaires à la coupe du monde 2022 dans l’émirat du Qatar.
Tout le monde ? Pas tout à fait. L’association de défense des droits humains Sherpa et le comité contre l’esclavage moderne ont déposé plainte dès 2018 contre Vinci et sa filiale, Quatari Diar Vinci Construction ( QDVC) pour « réduction en servitude », « traite des êtres humains », « travail forcé et incompatible avec la dignité humaine », « blessures involontaires »…
Mathilde Roche du quotidien Libération ( article du 17 janvier) a mené l’enquête et recueilli les témoignages sidérants de quatre ouvriers indiens dont la vie a été fracassée par des conditions de travail qui s’apparentent à l’esclavage. Pour la première fois ils ont été auditionnés par la justice française . C’est l’ONG Sherpa qui a pris en charge leur séjour en France.
Masques chirurgicaux sur le visage pour préserver leur anonymat, leurs témoignages sont terribles.
Tous décrivent des conditions de travail inhumaines: la chaleur sur les chantiers va de 40 à 45° en hiver et grimpe jusqu’à 55° en été.
Tous dénoncent la mauvaise qualité de la nourriture et même de l’eau.
Tous ont aujourd’hui des séquelles physiques irréversibles.
Tous racontent leur privation de liberté dès leur arrivée au Qatar, la confiscation immédiate de leur passeport, la signature de contrats rédigés en anglais et en arabe, des langues qu’ils ne comprennent pas.
Tous ont travaillé de 66 à 77 heures par semaine ( alors que leur contrat stipule 8 heures par jour et non 11). Le soir, épuisés, ils dorment à 8 par chambre de 4 lits simples… et doivent se lever à quatre heures du matin.
Tous évoquent des salaires allant de 170 à 500 euros par mois, salaires qu’ils envoient presque intégralement dans leur pays pour permettre à leur famille de subsister.
Les témoignages réunis par la journaliste sont glaçants. Jugez vous-même : « On faisait des malaises tous les jours, on nous mettait sur le côté, et dès qu’on bougeait, il fallait reprendre » affirme Raja. « On travaillait six jours, voire régulièrement sept jours sur sept, avec une journée de repos tous les quinze jours. »
Comme on pouvait s’y attendre Vinci réfute « vigoureusement les allégations, portées à son encontre concernant les conditions de travail sur ses chantiers au Qatar. »
Laura Bourgeois, de Sherpa indique que « les multinationales françaises ne doivent pas pouvoir se cacher juridiquement derrière des législations étrangères ou des chaînes de valeurs complexes pour échapper à leur responsabilité en cas de violation des droits humains. L’un des enjeux de la plainte est d’obtenir l’application de la loi pénale française. »
« C’est le pot de terre contre le pot de fer » dit l’avocate de l’ONG. Mais on espère tout de même que le jugement fera mentir la morale de cette autre fable de Jean de la Fontaine –Les animaux malades de la peste–
« Selon que vous serez puissant ou misérable,
les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Mon premier kaléidoscope, il y a bientôt six ans, était consacré à l’esclavage ( à retrouver ici grâce au moteur de recherche ci-dessous) ) et je vous invite à lire le numéro 221 du remarquable hebdo Le 1 qui est hélas toujours d’actualité. L’écrivain Laurent Gaudé y dénonce dans un article intitulé « Des tomates au goût de sang » les conditions de travail des ouvriers agricoles, Africains ou ressortissants des pays de l’Est pour la plupart, qui ramassent les tomates dans les Pouilles: « en deçà d’un certain prix, tout objet bon marché l’est soit parce qu’on a rogné sur sa qualité, soit parce qu’on a exploité les mains qui l’ont produit. »
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