Mes plus anciens «kaléidoscopeurs» connaissent bien Joël Vernet qui m’a fait l’amitié, à plusieurs reprises, dès le début -presque cinq ans déjà!- de nous offrir des textes, souvent inédits, que vous pouvez retrouver sur ce blogue grâce au moteur de recherche ci-dessous.

 Joël Vernet est né dans un petit village en Margeride, aux confins de la Haute-Loire et de la Lozère. Dès les années 1975, il entreprend plusieurs voyages à travers le monde qui le conduiront en Afrique, en Asie, aux confins de l’Europe. Il a vécu deux ans à Alep en Syrie. Il a publié de nombreux livres chez Lettres Vives, Fata morgana, Cadex, l’Escampette, La Part des anges, Le Temps qu’il fait, La Part commune, la rumeur libre…poèmes, petites proses, récits de voyages…

   Nous l’avons accueilli à la librairie Lucioles il y a près de 20 ans. Il y est revenu en 2018 et les hasards de l’édition font que cette année il publie quatre livres qui montrent la richesse et la diversité de son regard sur le monde:

   Tout d’abord le premier tome de ses œuvres poétiques intitulé « Voir est vivre » qui contient quelques textes inédits et regroupe une dizaine de recueils de poèmes et de petites proses écrits de 1985 à 2021.

   Ce recueil est publié aux éditions «la rumeur libre» en même temps que « Vivre, cette splendeur sauvage », un livre qui regroupe quatre entretiens et une dizaine de fragments inédits.

   « Regard perdu » est un petit texte autour d’une photographie prise en Mandchourie par M.Hannequin.

   Enfin «Journal d’un contemplateur », publié chez Fata Morgana évoque les îles du Sud mais aussi les îles Solovski, en mer Blanche… ainsi que sa Margeride.

   Je serai très heureux de dialoguer avec Joël Vernet ce mercredi 3 mai à 19 heures 

à la librairie Lucioles.

   Pour prendre patience, deux textes à l’apparente simplicité qui mettent en lumière  l’attention de Joël Vernet à ces petites choses de nos vies minuscules:

   « Les notes de musique s’échappent d’une fenêtre, flocons sonores qui ne retombent jamais dans la ruelle si lourde du commerce, des affaires, des éphémères va-et-vient. Légères, elles demeurent en suspens au-dessus de nos épaules et la plupart ne les entendent pas. Des enfants, là-haut, loin de chahuter dans une pièce lumineuse, apprivoisent un instrument si sérieusement qu’aucune mouche ne les distrait, aucun clin d’œil ne les détourne de leur apprentissage. Même leur maladresse est héroïque. Ils sont un petit groupe, resserré dans un poing de lumière, ignorant qu’ils sont le feu de l’avenir, si l’on ne jette pas d’ombres sur leurs rêves, entre terre et ciel. Si l’on ne préfère pas la mort à la vie, maudite monnaie d’échange qui brûle toute espérance. »

« Les coquelicots me parlent sur la frange des prés
Que je caresse promptement de la main,
Arrachant ici ou là une herbe blanche
Pour la mettre à ma bouche,

En respirer ainsi beaucoup mieux la saveur.
De l’autre côté des collines boisées,
Le clocher brun d’une église tinte dans le ciel
Comme un doigt ferme contre un verre de cristal.

Les nuages s’enroulent tout autour de sa pointe
Et cela me rappelle l’ardeur du froid
D’hivers anciens quand la neige nous montait
Jusqu’aux yeux. Une lumière soudaine

Effleure les pétales et d’un coup le pré
S’illumine d’une sorte de chant
Mais quand un nuage s’avance
La lampe des choses s’éteint.

Mais les coquelicots me parlent
Encore dans l’obscurité. »

Le lendemain, jeudi 4 mai au Théâtre de Vienne, en préambule au spectacle de Grégori Baquet consacré à 13 nouvelles de Dino Buzzati, tirées de son recueil le plus connu: le K, je ferai une présentation de cet immense écrivain un peu oublié aujourd’hui.

   La découverte, à l’âge de 20 ans, du roman de Dino Buzzati, «Le Désert des Tartares » a été un moment important de mon existence: rarement auparavant il m’avait été donné de lire une telle interrogation sur ce qui est la raison de vivre d’un être humain. Comme tous les grands livres, il recèle une part de mystère. Le lieutenant Giovanni Drogo nous semble tour à tour proche et loin de nous. Le roman de Dino Buzzati, admiré par Albert Camus, publié en 1940, est en même temps le livre du choix et du renoncement, de l’attente et de l’espoir, de l’absurdité de la vie et de sa grandeur, de la solitude et de la vérité…

    Nous évoquerons évidemment les autres livres de Dino Buzzati et en particulier l’univers fantastique des nouvelles composant le K à l’origine du spectacle présenté ensuite au théâtre. Ce rendez-vous d’avant spectacle intitulé Acte 1/ scène 0 est organisé en collaboration avec la librairie Lucioles à partir de 18h45 au bar du théâtre. L’entrée est libre sur réservation.

   J’ai parlé rapidement il y a quelques semaines de la disparition de Jean-Paul Capitani, à l’origine avec son épouse Françoise Nyssen des éditions Actes Sud. 

   À la demande des libraires du groupement Initiales -dont la librairie Lucioles fait partie- je lui rends hommage dans un article qui paraîtra dans leur magazine du mois de mai et que vous trouverez ici:

Jean-Paul Capitani, passeur et homme de convictions.

Avec la mort de Jean-Paul Capitani, les libraires perdent un indéfectible allié. Pendant des années, les éditions Actes Sud ont confié aux libraires du groupement Initiales la gestion de leur stand au Salon du livre de Paris. C’était pour nous, libraires indépendants, un moment fort que nous attendions chaque année avec impatience. Lorsque nous arrivions pour l’installation du stand, Jean-Paul était déjà là, ses éternelles lunettes autour du cou, des outils dépassant de son gilet à poches, juché sur un escabeau pour monter avec les techniciens l’impressionnant stand, entièrement en bois évidemment, l’un des plus beaux du salon. Alain Girard-Daudon, l’un des fondateurs de la librairie Vent d’Ouest, a raison lorsqu’il m’écrit : « Je crois que Jean-Paul se sentait avec nous, libraires, en famille. Et il me semble que nous libraires nous nous sentions alors en famille dans cette belle maison, qu’on croyait encore petite et qui était devenu grande. »

Le Nom de l’arbre

Jean-Paul Capitani avait la conviction du rôle essentiel de passeur qu’ont en commun libraires et éditeurs. Lui qui avait une formation d’ingénieur agronome a toujours été proche de la nature, des chevaux, et nous devions, il y a quelques années, tenir l’assemblée générale d’Initiales dans son mas de Camargue. Je me souviens de sa fierté d’avoir créé la collection Le Nom de l’arbre. Il avait lui-même conçu des présentoirs, en bois évidemment, pour les mettre en valeur. Jean-Paul Capitani était un homme infatigable, débordant d’énergie et d’idées. Il a été le premier éditeur à publier des livres sur la nature qui montrent que l’homme fait partie de la nature. C’est lui qui est à l’origine de la collection Domaine du possible confiée à Cyril Dion.

Jean-Paul avait le sens de la fête et aimait réunir, dans cette belle ville d’Arles qu’il aimait tant, tous les acteurs du livre… et les libraires se souvienne des beaux moments de rencontre et de partage en juillet 2008 pour les trente ans d’Actes Sud : musique, poésie, buffets conviviaux en compagnie des auteurs dans la belle maison qu’il partageait avec son épouse, Françoise Nyssen. L’ultime récital, au théâtre antique d’Arles, du poète palestinien Mahmoud Darwich – qui devait mourir moins d’un mois plus tard – restera gravé à jamais dans nos mémoires comme un grand moment de partage et de communion.

Agir pour le vivant

Se retrouver le 15 juin 2016 avec Alain Bélier et Renaud Junillon, mes successeurs à la librairie Lucioles depuis juillet 2011, dans les locaux labyrinthiques place Nina-Berberova, fut un moment d’échange d’une grande richesse qui aboutira à l’édito du livre pour fêter les quarante ans de Lucioles, livre pour lequel Actes Sud a apporté tout son soutien. Alain manifestait d’ailleurs la chance qu’il avait de poursuivre ces discussions animées avec Jean-Paul lors des afters du festival Agir pour le vivant qui se déroule fin août depuis 2020, temps d’échanges intenses dont il est à l’origine avec Françoise et Anne-Sylvie, fille de Jean-Paul et présidente du directoire d’Actes Sud depuis le 1er janvier 2023, à qui il a indéniablement transmis son énergie inépuisable et cette malice dans le regard.

Jean-Paul Capitani était un bâtisseur et ce qu’il a construit avec Françoise Nyssen, avec qui il formait un couple fusionnel, lui survivra, et c’est cela qui est important. Je me souviens que c’est lui qui m’a fait découvrir l’œuvre de Russell Banks à l’occasion d’une assemblée générale de L’Œil de la lettre – le groupement de librairies qui a précédé Initiales – où il venait à chaque fois, non pas en tant qu’éditeur, mais comme représentant de la librairie Actes Sud qu’il avait créée. En réponse à l’hommage que j’avais écrit sur Russell Banks, au moment

de sa mort en ce début d’année, il m’avait écrit ces lignes qui s’appliquent à lui aujourd’hui : « En fait, ce n’est pas une perte ; il est toujours là avec nous, avec toi et nous tous ensemble. »

Michel Bazin, fondateur de la librairie Lucioles (Vienne)

Avec la participation amicale d’Alain Bélier et Renaud Junillon, ses successeurs

                      Mon kaléidoscope s’éclipse pendant trois semaines. 

                            Rendez-vous samedi 20 mai pour le 230ème.

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