De cet amour ardent
je reste émerveillée

Je reste émerveillée
Du clapotis de l’eau
Des oiseaux gazouilleurs
Ces bonheurs de la terre
Je reste émerveillée
D’un amour
Invincible
Toujours présent
Je reste émerveillée
De cet amour
Ardent
Qui ne craint
Ni le torrent du temps
Ni l’hécatombe
Des jours accumulés
Dans mon miroir
Défraîchi
Je me souris encore
Je reste émerveillée
Rien n’y fait
L’amour s’est implanté
Une fois
Pour toutes. De cet amour ardent
  je reste émerveillée.

   Ce poème d’Andrée Chedid, écrit à la fin de sa vie, fait partie de la très belle anthologie de Clémentine Beauvais  “L’Amour en poésie” publiée dans la collection “folio junior” ( 7€50).

   Le recueil s’ouvre par un long poème enfiévré qui se clôt par ce vers:
    “Ton visage s’évanouit dans les lignes de mes mains.” 
 Pendant les quatre dernières années de sa vie, Alicia Gallienne a écrit des centaines de poèmes que son cousin Guillaume Gallienne a fait découvrir trente ans après sa disparition en 1990 à l’âge de vingt ans.
   Alicia savait que sa vie serait courte et ses poèmes portent la marque de cette conscience. Elle aimait la poésie de Paul Éluard, lui aussi présent dans cette anthologie avec ce poème tiré de “Capitale de la douleur”: 

             L’amoureuse
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.

   Ce recueil nous emmène à la découverte de plus de soixante textes poétiques connus ou inconnus, du monde entier et de toutes les époques comme l’amour qu’il célèbre.
Baudelaire y côtoie Ovide, Desnos, Verlaine, Aragon, Emily Dickinson, Marie Noël… et Louise Labé évoquée sur ce blogue il y a quelques semaines (K206).
   “La poésie est inutile comme la pluie” a écrit René-Guy Cadou dont vous retrouverez “Hélène ou le règne végétal” (K117) un des plus beaux poèmes d’amour que je connaisse. Cadou écrivait aussi que 
“la poésie n’est rien que ce grand élan 
qui nous transporte vers les choses usuelles
 usuelles comme le ciel qui nous déborde.”

Merci à Christian d’attirer notre attention sur une poétesse aussi météorique qu’Alicia Gallienne:

On n’oubliera pas, parmi les poètes fauchés dans la fleur de l’âge, Sabine Sicaud — adoubée à 13 ans par Anna de Noailles (présente dans le recueil “L’Amour en poésie”) — et morte deux ans plus tard, en 1928, des suites d’une gangrène. Elle aussi a très vite compris qu’elle était condamnée. Voici l’un de ses poèmes, consacré à Florence…

Quand j’habitais Florence

Quand j’habitais Florence avec tous mes parents,
Ma mère, ma grand-mère et l’arrière grand-mère
Aux longs cheveux d’argent,
J’aimais tant les iris de nos jardins toscans
Et le parfum de leur terre légère…

Ah ! le printemps, depuis, n’est plus un vrai printemps !

Il n’a plus la couleur des vitraux, vos couleurs,
Sainte-Marie-des-Fleurs,
Et celles de l’Arno
Sous les ponts recourbés où passait Béatrice.

Le soleil qui baignait les salles des Offices
N’a plus cet or subtil des matins déjà chauds
Le long des murs anciens et des champs de repos.
Les rossignols, depuis, ont tous une voix triste
Et l’aube qui persiste
À l’ombre des cyprès, je ne la connais plus.

Nos jardins d’autrefois, nous les avons perdus.

Merci à Joël Vernet pour ces deux envois des Balkans et de Grèce:

Les notes de musique s’échappent d’une fenêtre, flocons sonores qui ne retombent jamais dans la ruelle si lourde du commerce, des affaires, des éphémères va-et-vient. Légères, elles demeurent en suspens au-dessus de nos épaules et la plupart ne les entendent pas. Des enfants, là-haut, loin de chahuter dans une pièce lumineuse, apprivoisent un instrument si sérieusement qu’aucune mouche ne les distrait, aucun clin d’œil ne les détourne de leur apprentissage. Même leur maladresse est héroïque. Ils sont un petit groupe, resserré dans un poing de lumière, ignorant qu’ils sont le feu de l’avenir, si l’on ne jette pas d’ombres sur leurs rêves, entre terre et ciel. Si l’on ne préfère pas la mort à la vie, maudite monnaie d’échange qui brûle toute espérance.

30/11/22, Zagreb

Les coquelicots me parlent sur la frange des prés

Que je caresse promptement de la main,

Arrachant ici ou là une herbe blanche

Pour la mettre à ma bouche,

En respirer ainsi beaucoup mieux la saveur.

De l’autre côté des collines boisées,

Le clocher brun d’une église tinte dans le ciel

Comme un doigt ferme contre un verre de cristal.

Les nuages s’enroulent tout autour de sa pointe

Et cela me rappelle l’ardeur du froid

D’hivers anciens quand la neige nous montait

Jusqu’aux yeux. Une lumière soudaine

Effleure les pétales et d’un coup le pré

S’illumine d’une sorte de chant

Mais quand un nuage s’avance

La lampe des choses s’éteint.

Mais les coquelicots me parlent

Encore dans l’obscurité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *