Que des retours positifs sur “Sonate pour Roos “qui ne passe plus à Vienne mais sûrement à Lyon, Grenoble, Paris… et je l’espère à Belle-île-en-mer !

Et encore un très beau film cette semaine à Vienne grâce à Cineclap : LA ROUTE SAUVAGE d’Andrew Haigh: un adolescent solitaire en Oregon s’attache à un cheval de course promis à l’abattoir. Avec un tact infini, le réalisateur filme cette quête hasardeuse. Le jeune acteur Charlie Plummer est une révélation.

Mais, comme promis dans Kaléidoscope 3 c’est Joël Vernet qui vous offre ce texte inédit écrit récemment .

Joël Vernet est né dans un petit village aux confins de la Haute-Loire et de la Lozère. Dès les années 1975, il entreprend plusieurs voyages à travers le monde qui le conduiront en Afrique, en Asie, aux confins de l’Europe. Il a vécu deux ans à Alep (Syrie). Il a publié plusieurs livres chez Lettres Vives, Fata morgana, Cadex Editions, l’Escampette, La Part des anges, Le Temps qu’il fait, La Part commune, tous livres inclassables, ni poèmes véritables ni journaux de voyages, où sont célébrés le minuscule et l’immense, le proche et le lointain.
Il a récemment publié plusieurs livres magnifiques :Coeur sauvage, Lettre à Marina Tsvetaeva, Ed. L’Escampette; Nous ne voulons pas attendre la mort dans nos maisons, mini zoé, Ed. Zoé et en 2018 Nous partons tous, épopée pour le théâtre aux éditions La rumeur libre et La vie buissonnière chez Fata Morgana.

Ci-dessous, un poème écrit en traversant la place centrale du marché à Bamako, la nuit, voici peu:

Ma vie ne sera plus
jamais sommeil

Je traverse la nuit, toute la nuit dans la même ville. Elle est noire, si noire, je ne sais plus son nom. Je traverse le cœur de la ville, la ville toute noire. Son cœur est rouge, comme le mien. Le sang colore toute la nuit. Je m’arrête dans votre vie, mes frères, mes sœurs. Vos souffles sur mon visage. Mes frères, mes sœurs. Tous, mes frères et mes sœurs, beaux à en pleurer. Si misérables. J’ai mon cœur qui tremble lorsque je vous vois dans pareils haillons, si dignes, les poing serrés. Pourtant, c’est vous qui nous donnez la lumière dans la nuit toute noire, alors que l’on vous condamne à vivre comme des chiens. Mes sœurs, mes frères, au milieu des étals. La nuit, vous jetez des cartons, des couvertures, des étoiles sur vos pauvres marchandises et dormez tout contre. Mes sœurs, mes frères, vos visages endoloris. Le vent balaie la poussière: vos yeux en larmes. Vous avez faim, femmes si belles, si minces, aux bras qui montent vers le ciel. Mes frères, si jeunes, si vieux. Trop tôt ils ont éteint vos rêves. Vous ne possédez plus que les brouillons de cette vie étalés sur cette place noire, noire comme la couleur de votre peau, noire comme l’espoir qui semble avoir disparu. Mes frères, mes sœurs, vous entrez dans le jour, médusés. Ne laissons plus jamais personne parler à notre place. Mes sœurs, mes frères, soulevons-nous de la terre, déchirons la nuit qui n’est qu’un voile. La lumière, je la lis tout au fond de vos yeux, et j’ai mal. Je ne peux plus soudain traverser cette place enfouie dans l’obscurité, avec juste quelques lampes, des briquets. De si fortes odeurs d’alcool, puis les cris, les hurlements, des enfants se battent, coule le sang sur les poitrines. Les mains cherchent, traquent dans la nuit, puis vous venez ici passer des cols et on ne vous comprend pas, on vous chasse, on vous crache dessus, on vous laisse pour mort dans la neige, dans cette nuit de neige. C’est le blanc de mon pays, la croûte sale de mon pays, toute cette neige pourtant qui fait office de parure. J’ai vu vos vies déchirées sur la place toute noire.

Joël Vernet sera à Lucioles ce MERCREDI 30 MAI à partir de 18 heures.
À 19h j’aurais le plaisir de dialoguer avec lui et ses éditeurs de La rumeur libre.
Le prochain kaléidoscope sera consacré à la venue à Vienne le mardi 5 juin de Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky qui présentera son dernier livre LA VOIX DE CEUX QUI CRIENT rencontre avec des demandeurs d’asile (il y a un bel entretien avec MCSY dans le dernier numéro de Télérama) et à la rencontre avec Jean-Yves Loude qui parlera avec l’enthousiasme qu’on lui connaît de son nouvel ouvrage UN CARGO POUR LES AÇORES.


Cette semaine a vu disparaître celui qui est peut-être le plus grand écrivain américain PHILIP ROTH .
Si vous avez la chance de ne pas l’avoir encore lu, plongez-vous dans PASTORALE AMÉRICAINE ( qui n’a rien d’une pastorale !) ou dans CONTREVIE à la construction virtuose et à l’humour ravageur…au bout de la lecture de quelques ROTH lisez donc PARLONS TRAVAIL, un livre d’entretiens avec PRIMO LEVI, MILAN KUNDERA…et AHARON APPELFELD, l’immense écrivain israélien mort en janvier au moment où paraissait en France, l’un de ses plus admirables ouvrages DES JOURS D’UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ dans la belle traduction de Valérie Zenatti. En écrivant ces lignes, me reviennent en mémoire de nombreux échos de cette lecture qui a laissé des traces en moi. On en apprend , dans “Parlons travail ” autant sur Roth que sur les écrivains qu’il aime.
Un prochain kaléidoscope sera consacré à Philip Roth…avec vos contributions, j’espère, car chacun de ses lecteurs en a une image différente.
Et n’oubliez pas que le temps des cerises est revenu !

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