Ce sera encore une fois un kaléidoscope “éparpillé façon puzzle”, en conformité avec la réalité de l’objet.


  Je reviens tout d’abord sur l'”éclat” de la semaine dernière consacré aux voraces appétits de Bolloré. Vous trouverez sur le blogue ( Kaléidoscopes !) vos commentaires et réactions: merci à Véronique, Bernard, Philippe et Françoise Nyssen (ancienne ministre de la Culture et directrice d’ Actes Sud) qui m’a envoyé l’entretien qu’elle a donné aux “Inrocks” intitulé “Avec Bolloré, beaucoup d’auteurs, d’éditeurs et de libraires vont disparaître”. 

 Actes Sud en deuil de Christine le Boeuf, qui créa avec son mari Hubert Nyssen la maison d’éditions en 1978. Nous avions eu la chance à la librairie de l’accueillir avec Hubert Nyssen pour recevoir au nom de Russell Banks le Prix Lucioles attribué à ce livre poignant qu’elle avait traduit: “De beaux lendemains”. Christine était aussi la voix en français d’Alberto Manguel, de Paul Auster avec qui elle était revenue à Vienne, et de tant d’autres…J’ai mis également sur mon blogue l’article que lui a consacré “Livres Hebdo”. Les traducteurs sont trop souvent oubliés alors que leurs voix nous sont nécessaires.


   Jean-Yves Loude a attiré mon attention sur le terrifiant documentaire diffusé sur Arte ce mardi et disponible en replay: “Chine: le drame ouïghour”. Stérilisation forcée, camps de rééducation, destruction des lieux de culte, réécriture de l’histoire dans les manuels scolaires, camps de travail où sont fabriqués les vêtements que nous portons, les smartphones qui nous sont devenus indispensables…Nous sommes en contact permanent avec le fruit de l’exploitation de la force de travail des Ouïgours . Et pendant ce temps-là la fête des jeux olympiques bat son plein… et la dictature chinoise peut compter sur notre indifférence à ce qu’on peut appeler un génocide culturel.   J’avais déjà, comme tant d’autres, crié dans le désert, il y a un peu plus d’un an (K130). Un jour viendra peut-être où ces cris auront un effet. Le pire serait l’oubli.


   Le numéro 57 de la revue XXI est paru. Au programme un dossier sur le prix de notre santé: Notre corps, leurs profits.   Au sommaire également un article intitulé “100% matière grise”reprend quelques-unes des statistiques collectées au gré de ses vagabondages par Yves Pagès: Le livre “Il était une fois sur cent (sous-titré Rêveries fragmentaires sur l’empire statistique)” les regroupe en un florilège à la fois politique, ludique et insolite.   En voici quelques échantillons qui seront détaillés dans la revue:- “La terre compte 7% de vivants… et 93% de morts”.- La totalité des humains représente 0,01% de La biomasse animale, toutes espèces animales confondues, soit beaucoup moins que les lombrics.- En France, 14% des pauvres n’ont personne à qui parler.- En France, 150 millions de livres sont pilonnés chaque année.- Aux États-Unis, 40% des produits alimentaires agricoles finissent à la benne.


   Il y a bientôt six ans disparaissait l’un des plus grands écrivains américains Jim Harrison. Quelques mois avant sa mort, François Busnel est allé le voir et le filmer chez lui dans le Montana. “Seule la terre est éternelle“, le film qu’il lui consacre sort enfin dans les salles de cinéma le 23 mars.Les heureux habitants de Vienne et des environs en auront la primeur trois semaines avant, en compagnie du réalisateur: cochez le mercredi 2 mars sur vos agendas ou vos tablettes! En attendant, je me replonge dans “Dalva” et dans “La route du retour” pour vous en parler prochainement.



Françoise Nyssen: “Avec Bolloré, beaucoup d’auteurs, d’éditeurs et de libraires vont disparaître.”

Les Inrocks: Comment voyez-vous ce qui est en train de se produire : Vivendi (Editis) prenant le contrôle de Lagardère (donc Hachette Livres) ?

         Françoise Nyssen:Il s’agit d’une concentration encore plus pernicieuse que celle de 2003, (quand Hachette voulait racheter Editis) car les acteurs en présence sont bien plus puissants aujourd’hui.  

         Tous les équilibres risquent d’être fortement perturbés, avec des conséquences néfastes pour le livre et la création d’une manière générale.  I- En quoi cela changera l’édition française ? :

         F.N. C’est une captation de valeur considérable au sein d’une même entité, de toute la chaîne du livre, du processus éditorial jusqu’au lecteur. 

         Il s’agit de la mainmise d’un pouvoir financier sur la création et la diffusion des idées. C’est une menace d’atteinte à la diversité et à la liberté d’expression qui sont constitutives du métier d’éditeur, et qui se manifestent entre autres par la multiplicité de maisons petites ou moyennes, souvent indépendantes. La diversité des catalogues et un réseau de librairies unique au monde (il existe autant de librairies en France que sur le territoire des Etats-Unis) sont les piliers de la biodiversité qui garantit une création vivante. 

C’est aussi le risque d’accroissement duphénomène de bestsellerisation et d’une paupérisation de l’offre. Ce ne sont pas quelques alibis de “bien faire” éditorial qui réduiront le risque réel de ces tendances. Beaucoup d’auteurs, d’éditeurs et de libraires risquent de disparaître à terme.

Chaque livre est un prototype, chaque auteur est unique et doit être accompagné en fonction de sa singularité. Le rôle de l’éditeur consiste à découvrir de nouveaux talents et à s’engager à lesfaire reconnaître. Comment défendre des jeunes talents émergents mais aussi des idées dans ladiversité de leur expression quand on est pris dans la mécanique implacable d’un tel “mastodonte”.  I- Quel danger cela représente pour les auteurs ?

        F.N.Le risque pour ceux qui ne rencontrent pas un succès immédiat de ne pas continuer à êtrepubliés.  I- Cela aurait-il pu être empêché ?

        F.N. Cela doit être empêché. Un tel niveau de concentration horizontale et verticale est très inquiétant. 

Vincent Bolloré possède un ensemble considérable (nombreux média, chaînes de TV, radios, journaux, agence de publicité, salle de spectacles, outils de distributions, de points de vente…, qui lui assurent une position dominante. Celle-ci ne pourra que se voir renforcée par l’absorption de l’autre géant de l’édition qu’est Hachette, numéro un en France et acteur de poids sur de nombreux marchés à l’international. 

        I- Cela peut-il encore être empêché ? Comment vous êtes-vous organisés avec notamment Antoine Gallimard ? Bruxelles peut-il vraiment agir ?

        F.N.L’Europe est une démocratie et le droit de la concurrence existe notamment pour éviter l’abus de position dominante. L’abus arrive vite quand on est en position dominante ! Le capitalisme sans éthique n’est pas tenable.  I- Avez-vous déjà croisé ou eu affaire à Vincent Bolloré lorsque vous étiez ministre de la culture ? Si oui comment est-il ? Pensez-vous qu’il représente aussi une menace d’ordre idéologique (extrême-droite) ?

         F.N.Non je ne l’ai jamais rencontré. 

Certains livres qui sont diffusés par ses soins prônent des idées qu’il faut combattre. On sait que des changements de responsables se sont produits dans des rédactions de média qui lui appartiennent. Ces faits sont de nature à inquiéter et posent de sérieuses et légitimes questions pour l’avenir. I- Qu’espérer ?

         F.N: Que les lois et règlements soient respectés et appliqués.

         Nous disposons de la plus belle des lois – la loi Lang – qui, en instaurant un prix unique, permet de protéger la pluralité de la librairie en France, en régulant les rapports de force entre les grandesenseignes et les libraires indépendants, et de maintenir l’éclectisme de la production. On ne peut pas abandonner les libraires face à un acteurqui représenterait entre 50% et 70 % du marché. Si Vincent Bolloré se mettait à considérer que les libraires coûtent trop cher, il pourrait baisser leursconditions de rémunération, puisque quasi unique diffuseur/distributeur, et de nombreuses librairies risqueraient de fermer leur porte. 

J’espère qu’un vaste élan de solidarité des créateurs, des libraires et des éditeurs fera front devant un tel risque hégémonique. Préservons notre précieuse et vitale “bio” diversité !

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