Il y a trois semaines, -voir K166- , je vous ai parlé du livre d’Irene Vallejo “L’Infini dans un roseau”. En relisant son épilogue et sa conclusion intitulée “Note pour la tribu du roseau” je me suis dit qu’il n’était pas inutile de rappeler la nécessité des livres et de la lecture.  

 “Nous sommes les seuls animaux à raconter des histoires, à chasser l’obscurité avec des contes, à apprendre à cohabiter, grâce aux récits, avec le chaos, à attiser les braises des foyers avec l’air de nos paroles, à parcourir de longues distances pour porter nos histoires aux étrangers. Et quand nous partageons les mêmes récits, nous ne sommes plus étrangers.” Ces paroles résonnent avec un écho particulier en ces temps où les récits de repli sur soi, de regards braqués sur un monde d’hier idéalisé prennent le pas sur les questions essentielles de partage des richesses et d’avenir de la planète.
   Irene Vallejo nous invite donc dans son épilogue à porter un autre regard sur le passé, à ne pas oublier le pouvoir des mots, des récits et de la littérature en décrivant ces expériences de “New Deal culturel” menées dans l’Amérique profonde après la grande dépression de 1929 ( voir K97: Nouvelle donne culturelle…). On se prend à rêver d’un monde où les récits nous humaniseraient davantage:
  “Combattre le chômage, la crise et l’analphabétisme au moyen de vastes doses de culture financées par l’État: c’était un des engagements de la Works Progress Administration. En 1934, quand le projet fut conçu, les statistiques ne recensaient qu’un seul livre par habitant dans l’État de Kentucky. Dans ce territoire montagneux et misérable de l’Est, sans routes ni électricité, il était impensable de mettre en marche un système de bibliothèques ambulantes sur des carrioles, qui obtenaient un énorme succès dans d’autres régions du pays. L’unique alternative était de lancer sur les sentiers des Appalaches de coriaces bibliothécaires portant sur leur dos les livres jusqu’aux bastions les plus perdus. Chaque cavalière sillonnait trois ou quatre routes différentes par semaine, avec des trajets allant jusqu’à trente kilomètres par jour. Les femmes, qui prenaient leur travail autant au sérieux que les infatigables facteurs de l’époque, récupéraient les exemplaires dans différents lieux et les distribuaient dans les écoles rurales, les centres communautaires et les familles paysannes.(…) “Donne-moi un livre à lire” Était le cri des enfants qui voyaient arriver les étrangères. Même si, en 1936, le circuit concernait 50 000 familles et 155 écoles, avec un total de 8000 km parcourus par mois, les bibliothécaires à cheval du Kentucky répondaient à peine à un dixième des demandes. Une fois passée la méfiance initiale, les montagnards étaient devenus d’avides lecteurs. Parfois, une famille refusait de déménager dans un autre endroit parce qu’il n’y avait pas de service bibliothèque.(…) L’apport de livres améliora la santé et l’hygiène dans la région -les familles apprirent, par exemple, que se laver les mains était beaucoup plus efficace pour éviter les coliques que souffler de la fumée de tabac sur une cuillerée de lait. Les adultes et les enfants s’amourachèrent du sens de l’humour de Mark Twain, mais le livre le plus réclamé , de loin, fut Robinson Crusoé. Les classiques mirent les nouveaux lecteurs en contact avec un type de magie auquel ils n’avaient jamais eu accès jusque-là. Les écoliers lettrés les lisaient à leurs parents analphabètes. Un jeune dit à sa bibliothécaire : “Ces livres que tu nous as apportés nous ont sauvé la vie.” Le programme employa quasiment un millier de bibliothécaires à cheval pendant dix ans. Le financement prit fin en 1943, l’année de la dissolution de la WPA, quand la Seconde Guerre mondiale remplaça la culture comme remède au chômage.”

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