C’est le même jour, (Un premier avril ! On aurait aimé que ce soit un poisson, mais non!) que deux dessinateurs de presse emblématiques prennent leur retraite.
Plantu a vu son premier dessin -une colombe avec un point d’interrogation au bec pour questionner la fin de la guerre du Vietnam- publié dans le Monde en octobre 1972. On se souviendra de sa petite souris facétieuse, parfois bâillonnée, lointaine cousine de la coccinelle de Gotlib, au coin de nombreux dessins en une du journal. “Ces milliers de dessins finiront par former un gigantesque kaléidoscope, qui traversera l’histoire contemporaine et forgera une partie de l’identité du Monde.” écrit Jérôme Fenoglio pour présenter ce dernier “regard sur le Monde” de Plantu.
Willem, lui, avait débarqué à Libération il y a 40 ans mais ses premiers dessins publiés en France le seront en 1969, en particulier dans Hara kiri hebdo qui deviendra Charlie Hebdo en 1970. Je me souviens de ses revues de presse manuscrites complètement décalées et bourrées de fautes, le Néerlandais ayant une aléatoire maîtrise du français. Mais c’est surtout la force incisive de son trait, reconnaissable au premier coup d’œil, sa hardiesse, sa violence anarchiste dénonçant toutes les oppressions et toutes les aberrations du monde que je n’oublierai pas. “On aura toujours besoin de se foutre des gens. En tout cas, moi, trouver des conneries ça me garde éveillé.” dit-il dans le numéro spécial de Libé de ce 31 mars qui retrace toute la carrière de cet homme libre.

   Au fait, pourquoi Plantu et Willem arrêtent-ils ces dessins quotidiens ? À vrai dire pour les mêmes raisons. "Parce que je ne veux pas faire le dessin de trop." dit Plantu.

Comme en écho Willem dit qu’il veut arrêter avant d’être nul, la semaine de ses 80 ans.

Mais fort heureusement la relève est assurée. Plantu a créé en 2006 avec Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, l’association Cartooning for Peace (Dessins pour la Paix), un collectif qui rassemble aujourd’hui plus de 200 dessinateurs et dessinatrices (Willem est allé en Nouvelle-Zélande avec Plantu pour cette association). Ce sont des caricaturistes de cette association qui seront désormais chaque jour à la une du Monde.

À Libé c’est Coco qui s’y colle ( allitérations en C!). À 38 ans, c’est la première femme à avoir un tel rôle dans un quotidien national. Pour prendre la mesure de son talent, lisez et regardez les 350 pages de son dernier livre “Dessiner encore” publié aux éditions des Arènes. “Dessiner c’est vital” écrit Coco (Corinne Rey) submergée par cette vague qui a déferlé sur elle, qui la suffoque depuis ce 7 janvier 2015, où sous la menace des kalachnikovs des tueurs, elle fait le code de la porte de la rédaction. Dessiner encore pour ne pas penser à l’horreur. “Comment vivre à présent sans me sentir coupable d’être en vie ?” Coco nous décrit avec tact sa difficile reconstruction… et cette vague qui revient au fil des pages, au fil des thérapies qu’elle parvient, malgré tout, à évoquer avec humour. “Je vis l’expérience d’une mort en moi : celle de l’insouciance.”(…) “Je retrouve le plaisir de marcher pieds nus dans l’herbe fraîche… Est-ce que je peux ?”.
Son évocation de Cabu nous touche particulièrement, nous qui avons eu la chance à Lucioles de le rencontrer plusieurs fois depuis 2004. Elle évoque son rire, si juvénile et si communicatif, sa tranquille générosité. “Cabu dessine comme il respire. Je ne m’assois jamais très loin de lui. J’observe. J’apprends.” Et Cabu est toujours prêt à transmettre son savoir faire: “Quand tu dessines un visage, le regard c’est ce qu’il y a de plus important.”

Mais rassurez-vous, Willem continuera à aiguiser chaque semaine dans Charlie Hebdo son crayon noir contre la connerie du monde et Plantu a plein de projets, de la sculpture, du dessin animé, des expos... Et surtout il va continuer à aller dans les écoles : la haine, l'intolérance, le racisme lui font peur. Par l'éducation on peut les faire reculer.

Post scriptum qui n’a rien à voir comme disait Delfeil de Ton à la fin de ses rubriques de Charlie.

Mon dernier kaléidoscope, témoignage d’un homme qui tente de retrouver dans les livres le souvenir de sa femme trop tôt disparue m’a valu ce beau témoignage de la part de mon amie Claire que vous retrouverez à la fin de ce 140ème article intitulé Notre besoin de consolation…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *