Ce n'est pas ce modeste kaléidoscope qui pourrait embrasser la carrière ( je ne suis pas sûr que le mot lui aurait plu) de ce Pic de La Mirandole des temps modernes, de cet "encyclopédiste au temps des frères Lumière" comme il se définissait lui-même.

Il était pourtant né, en 1931, dans un milieu sans livres et sans images, habitant une ferme viticole de l’Hérault sans eau courante.

Jean-Claude Carrière était curieux de tout, se passionnant aussi bien pour les sciences, l’astrophysique, les arts, les religions, les mythologies, les philosophies orientales…
C’est ainsi qu’il consacra dix ans de son existence à étudier et adapter le Mahabharata aux côtés de l’immense metteur en scène Peter Brook. Avec lui il est parti en Inde voir les pièces se jouer sur les places ou dans de petits théâtres, rencontrer les gourous… pour parvenir à écrire cette longue fresque épique tirée de la mythologie hindoue, l’un des premiers récits de l’humanité: au final 300 000 vers, quatorze fois la bible: le spectacle d’une durée de quatorze heures, créé en 1985 au festival d’Avignon est l’aboutissement de l’une des plus belles aventures théâtrales et humaines. ” La plus haute montagne que j’aie jamais gravie, pleine de merveilles, de découragements et de pièges” disait du Mahabharata Jean-Claude Carrière.

Le cinéma a été aussi l’une des grandes aventures de sa vie. Il fut tout d’abord le complice de Pierre Etaix et de Jacques Tati. Sa fascination pour le surréalisme devait naturellement lui faire croiser le chemin de Luis Buñuel dont il deviendra le scénariste favori- Le journal d’une femme de chambre, Le charme discret de la bourgeoisie, Le fantôme de la liberté, Cet obscur objet du désir, Belle de jour, La Voie lactée…- autant de chefs-d’œuvre inoubliables et dérangeants.

La liste des cinéastes avec qui il a travaillé donne une idée de l’éclectisme de cet esprit libre: Jean-Luc Godard, Louis Malle, Milos Forman, Marco Ferreri, Carlos Saura, Nagisa Oshima, Andrzej Wadjda, Volker Schlöndorff… Philippe et Louis Garrel ont fait aussi appel à son talent de scénariste et ce dernier lui rend un bel hommage en disant que ” Jean-Claude Carrière était comme un immense arbre avec beaucoup de feuilles qui ne faisait de l’ombre à personne.”

Je lui avais consacré deux kaléidoscopes (à retrouver ici)
: Le premier ( K11) évoquait “Le cercle des menteurs ( contes philosophiques du monde entier”) “où ce griot des temps modernes disait en préambule:” qui sait si, dans les pages qui viennent, ne se trouvent pas quelques récits qui se disaient déjà dans les repaires de la préhistoire, où ils faisaient rire ou frémir, il y a trois cents siècles ou même davantage, alors qu’aucun État, aucune société à notre ressemblance n’existait encore, mais que les peintures rupestres brillaient déjà d’une très haute lueur.”
Le second ( K40) parlait d’un livre d’entretiens avec un autre incorrigible bibliophile adepte lui aussi du Gai Savoir nommé Umberto Eco. “N’espérez pas vous débarrasser des livres.” m’avait instruit et amusé, ces duettistes drôles, curieux et érudits me donnant, en leur compagnie, l’impression d’être plus intelligent !
Jean-Claude Carrière y clamant son amour des livres et de la littérature :
“Chaque lecture modifie le livre, bien entendu, comme les événements que nous traversons. Un grand livre reste toujours vivant, il grandit et vieillit avec nous, sans jamais mourir. Le temps le fertilise et le modifie, alors que les ouvrages sans intérêt glissent à côté de l’Histoire et s’évanouissent. Je me suis retrouvé, il y a quelques années, en train de relire “Andromaque” de Racine. Je tombe tout à coup sur une tirade où Andromaque raconte à sa servante le massacre de Troie:
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
Vous lisez ces lignes différemment après Auschwitz. Le jeune Racine nous décrivait déjà un génocide.”

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