J’ai longtemps hésité à consacrer un kaléidoscope aux gilets jaunes, comme si tout n’avait pas déjà été dit et redit. Et c’est l’enquête de Florence Aubenas dans le Monde du 16 décembre qui m’a convaincu d’en parler.
La révolte des ronds-points
Journal de bord
En une du journal avec une photo d’Edouard Elias qui a sillonné avec Florence Aubenas les ronds-points de Marmande pendant une semaine et trois pages à l’intérieur.
Ils sont là, ils écoutent, ils regardent, ils sont présents tout simplement. Ils veulent comprendre et nous faire comprendre. Ils se donnent le temps pour cela, le temps de l’enquête et de la réflexion, le temps long qui permet la nuance, le temps du respect et de l’écoute, de l’empathie qui ne signifie pour autant qu’on donne toujours raison à ceux qui vous parlent.
Florence Aubenas montre cette parole libérée de ces hommes et de ces fesmmes, de ces retraités et de ces lycéens qu’on écoute et qui écoutent , de ces gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer et qui osent parler pour la première fois, qui ont le sentiment d’exister pour la première fois. “La cahute , au rond-point est devenue le lieu où les masques tombent.(…) Et tout revient d’un coup , la chaleur de la cahute, la compagnie des humains, les “Bonjour” qui claquent fort. Est-ce que les “gilets jaunes” vont réussir à changer la vie? Une infirmière, songeuse:” En tout cas, ils ont changé ma vie.” On aurait envie de tout citer!
Dans le même journal quelques jours auparavant, l’historien Gérard Noiriel -qui vient de publier Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours- montrait que les “gilets jaunes” replacent la question sociale au centre du jeu politique. Il rappelle que ” Alors que les ouvriers représentent encore 20% de la population active, aucun d’entre eux n’est présent aujourd’hui à l’assemblée nationale. Il faut avoir en tête cette discrimination massive pour comprendre l’ampleur du rejet populaire de la politique politicienne.”
Benjamin Coriat ( qui a codirigé cette année l’ouvrage Vers une république des biens communs? aux bien nommées éditions Les Liens qui libèrent ) enfonce encore le clou , dans un remarquable article publié dans Libération du mercredi 19 décembre , intitulé Les gilets jaunes ou le retour de “l’économie morale” : ” Les choses sont allées si loin, le cynisme des possédants et de leurs mandants au sein de l’Etat a atteint de tels niveaux que, venue du fond des âges, l’économie morale, les principes de justice qui la fondent et le peuple qui la porte ressurgissent et réoccupent le devant de la scène. Cette fois non sur les places de marché des villages, mais, le symbole est peut-être plus fort, aux ronds-points.”
Et je citerai, pour terminer, un entretien donné dans Le Monde du 14 décembre par le sociologue Camille Peugny qui explique “la crise actuelle par les inégalités qui “fracturent” la société française “. “On assiste à une polarisation des destins sociaux qui écartèle complètement la société française depuis vingt ans. Je suis ainsi frappé par la variété des professions qui se mobilisent : des fonctionnaires de catégorie C, des aides-soignantes, des techniciens du privé, des employés, des aides à domicile, des caissières… Autant de personnes qui partagent ce sentiment que leur avenir est bouché et qu’ils ne sont que des variables d’ajustement condamnées à des vies au salaire minimum.”
Je crois, modestement, que ce désir de justice, d’égalité et de dignité qui s’est exprimé – et qui continuera à s’exprimer – est légitime et qu’il est urgent de réduire la fracture sociale.

Faisons le vœu que cette révolte, qui aura contribué à libérer la parole et la réflexion, redonne tout son sens à la devise de notre république.

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