“Je me suis réveillé.
On sonnait à la porte.
J’ai jeté un œil au réveil électronique à côté de moi … “5:42”, les chiffres clignotaient.
“La police”, me suis-je dit.
Comme tous les opposants de ce pays, chaque soir je m’endormais imaginant qu’à l’aube, on frapperait à ma porte.
Je savais qu’ils viendraient.
Ils sont venus.
J’avais même préparé des habits spécialement pour mon arrestation et les jours qui suivraient.”

Ainsi commence le livre poignant et beau d’ Ahmet Altan ” Je ne reverrai plus le monde. Textes de prison” ( traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes) aux éditions Actes Sud.
Ahmet Altan est romancier, essayiste et journaliste. En 2012 des milliers de personnes manifestent à Ankara et Istanbul. Les arrestations commencent dès le lendemain. Ahmet Altan ( ainsi que son frère Mehmet) fait partie des milliers de fonctionnaires, militaires et journalistes accusés d’avoir fomenté un coup d’état. Il sera condamné à perpétuité pour un motif complètement absurde : il aurait fait passer un message subliminal subversif lors d’une émission de télévision ! Au moment où j’écris ces lignes, au moment où vous les lisez Ahmet Altan est encore et toujours en prison.
Et pourtant son livre n’est pas une lamentation, c’est un hymne à la liberté, une ode à l’imagination, une réflexion sur les pouvoirs de la littérature, une méditation sur l’importance des miroirs: ” Le miroir te regarde, il prouve que tu existes. (…) Il leur avait suffi de nous enlever les miroirs pour nous éliminer.” Ahmet Altan démonte avec humour les rouages de l’oppression carcérale, il convoque ses souvenirs pour voyager dans le monde entier, pour sentir la vibration de l’univers. Par la force des mots et de son imagination l’auteur nous donne une leçon de liberté : ” Jusqu’à ce jour, pas un matin je ne me suis éveillé en prison.”

Le dernier chapitre du livre intitulé “Le paradoxe de l’écrivain” montre que les barreaux des cellules sont incapables de couper les ailes de l’imagination des écrivains. En voici les dernières lignes:

" Je parcours le monde depuis une cellule de prison.

Ainsi qu’aisément vous l’aurez deviné, j’ai pour moi le divin orgueil des écrivains, qu’ils confessent rarement et pourtant se transmettent , depuis des millénaires, d’une génération à l’autre, et j’ai pour moi aussi cette confiance que la littérature, telle une coquille avec sa perle, m’a accordée de faire grandir en son sein, et j’ai pour moi encore cette cuirasse faite de tous mes livres, qui me protège et me rend invincible.

J’écris cela dans une cellule de prison.

Mais je ne suis pas en prison.

Je suis écrivain.

Je ne suis ni là où je suis, ni là où je ne suis pas.

Vous pouvez me jeter en prison, vous ne m’enfermerez jamais.

Car comme tous les écrivains, j’ai un pouvoir magique : je passe sans encombre les murailles.”

Et un grand merci à mon ami Joël Vernet, voyageur et poète, auteur de près de 60 livres, attentif lecteur ( et parfois acteur) de mes kaléidoscopes, du cadeau de ces lignes que lui ont inspiré la lecture de “Je ne reverrai plus le monde “

                                             Souffle de la lumière                                                                                                                                                                                                                                                  
                                                                                                              Pour Ahmet Altan

Si j’étais en prison, je ne verrais plus les arbres, seulement un coin de ciel par le soupirail. Et la lumière ne surviendrait que malingre sur le grabat. Je ne suis pas en prison, mais d’autres y sont, simplement pour avoir commis le délit d’aimer les arbres, la lumière et la vie. Je lis leurs livres, lorsqu’ils écrivent. Je découvre aussi les témoignages de ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais que l’on a jetés derrière les barreaux pour le seul fait d’aimer la vie par-dessus tout, la vie, la paix, l’amour. Alors, être libre et regarder un arbre, un amour, quoi de plus grand que cette chose si simple ? Si j’étais en prison, penser à cela serait tout mon bonheur. Mais puisque je suis dehors, que je n’oublie jamais la lumière rare qui va jusqu’au fond des cellules ! Ce matin, en ouvrant la fenêtre de la chambre, j’ai pensé à toutes celles, à tous ceux qui survivent grâce à la plus petite des lueurs qui soit : elle traverse les feuillages, le monde. Elle nous rapproche les uns des autres. Je ne sais pas pourquoi, mais l’arbre, sa lumière, m’ont toujours donné de l’espérance. Je n’oublierai pas les oiseaux qui arrivent par le ciel. J’envoie ces quelques phrases pour que les oiseaux les emportent par-delà les montagnes et les mers. Les nuages. Ainsi sont peut-être les livres qui donnent quelque force.

François Busnel accueillera ce mercredi dans La grande librairie J.M.G. Le Clézio qui propose avec son dernier livre ” Le flot de la poésie continuera de couler.” un voyage dans l’âge d’or de la poésie chinoise en compagnie de Charles Juliet qui présentera ” Pour plus de lumière “, une anthologie de ses poèmes dans la collection Poésie / Gallimard et le dixième volume de son journal ” Le jour baisse” aux éditions P.O.L.

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