La poésie n’a pas très bonne presse, c’est le cas de le dire!
Quel journal quotidien français en publie, ne serait-ce que quelques vers chaque jour ?
La poésie est souvent assimilée à la mièvrerie, cantonnée aux récitations ânonnées à l’école, donc désuète et pour tout dire élitiste.
Quel poète français vit aujourd’hui de sa plume?
Et pourtant, aujourd’hui, dans d’autres pays que le nôtre, des poètes sont reconnus et fêtés, on sait leurs poèmes par cœur, en Irlande, en Iran, en Russie, en Palestine…
En 2009, lorsque l’artiste Ernest Pignon-Ernest a collé sur les murs de Ramallah, en Cisjordanie, les images de son ami poète disparu MAHMOUD DARWICH , il raconte que son geste a suscité des réactions d’enthousiasme, y compris auprès de la population la plus pauvre et la moins cultivée.
Qu’il me soit permis d’évoquer la chance que nous avons eue- une ou deux centaines d’auteurs , éditeurs et libraires- d’être invités à une lecture de Mahmoud Darwich au théâtre antique d’Arles, pour fêter les 30 ans des éditions Actes Sud.
Je me souviens, comme si c’était hier des frères Joubran qui accompagnaient Mahmoud Darwich à l’oud, je me souviens de Didier Sandre qui récitait ses poèmes en français et je me souviens surtout de la voix profonde et vibrante de Mahmoud Darwich, du silence religieux d’une assistance saisie par la puissance de cette parole dont nous saisissions l’intensité à défaut d’en comprendre le sens.
Et je me souviens, qu’à la fin du récital, sous les applaudissements de l’assistance debout, Mahmoud Darwich a levé le bras dans un dernier salut, se retournant vers nous, en s’éloignant vers le fond de la scène. Nous ne savions pas à cet instant que ce geste était un signe d’adieu.
Quand Actes Sud nous a envoyé un mois plus tard la photo immortalisant cet instant du mois de juillet 2008, Mahmoud Darwich venait de nous quitter, à l’âge de 66 ans, des suites d’une opération chirurgicale. Les Palestiniens lui feront à Ramallah des funérailles nationales.
Farouk Mardam-Bey, son éditeur et traducteur en français, qui était avec nous pour partager cette mémorable lecture, parle beaucoup mieux que moi de sa poésie : ” Mais avant d’être palestinien et arabe, Mahmoud Darwich était tout simplement poète. Et c’est en affinant son art poétique, et non par des professions de foi patriotiques, qu’il a atteint son principal objectif: faire de la Palestine une métaphore universelle. Lecteur assidu de la poésie arabe classique, il a tenu par-dessus tout à s’enraciner dans ses rythmes et ses sonorités. Admirateur aussi des grands poètes européens et américains du XXème siècle, de Rilke à Neruda et de Saint-John Perse à Derek Walcott, il a cherché sa vie durant, à leur exemple, à explorer les cadences du monde moderne. Ce faisant, il a mêlé sa voix aux leurs tout en proposant sa propre définition de la poésie.
Mahmoud Darwich se disait “poète troyen”. Tout son œuvre peut être lu comme un vibrant témoignage pour les vaincus, ceux dont la version de l’histoire a été submergée par la clameur des vainqueurs. “
Un double livre-disque, publié par Actes Sud et France Culture, porte témoignage de ce récital . En voici deux échos :

Nous aussi, nous aimons la vie.

Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.
Nous dansons entre deux martyrs et pour le lilas entre eux, nous dressons un minaret ou un palmier.

Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.

Au ver à soie, nous dérobons un fil pour édifier un ciel qui nous appartienne et enclore cette migration.
Et nous ouvrons la porte du jardin pour que le jasmin sorte dans les rues comme une belle journée.

Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.

Là où nous élisons demeure, nous cultivons les plantes vivaces et récoltons les morts.
Dans la flûte, nous soufflons la couleur du plus lointain, sur le sable du défilé, nous dessinons les hennissements
Et nous écrivons nos noms, pierre par pierre. Toi l’éclair, éclaircis pour nous la nuit, éclaircis donc un peu.

Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.

Le cyprès s’est brisé

Le cyprès s’est brisé comme un minaret
et il s’est endormi
en chemin sur l’ascèse de son ombre,
vert, sombre,
pareil à lui-même. Tout le monde est sauf.
Les voitures
sont passées, rapides, sur ses branches.
La poussière a recouvert
les vitres…le cyprès s’est brisé mais
la colombe n’a pas quitté son nid déclaré
dans la maison voisine.
Deux oiseaux migrateurs ont survolé
ses environs et échangé quelques symboles.
Une femme a dit à sa voisine :
Dis, as-tu vu passer une tempête ?
Elle répondit : non, ni un bulldozer…
le cyprès
s’est brisé. Les passants sur ses débris ont dit:
Il en a eu assez d’être négligé,
il a sans doute vieilli
car il est grand
comme une girafe,
aussi vide de sens qu’un balai
et il n’ombrage pas les amoureux.
Un enfant a dit: Je le dessinais parfaitement,
sa silhouette est facile. Une fillette a dit:
le ciel est incomplet
aujourd’hui que le cyprès s’est brisé.
Un jeune homme a dit:
le ciel est complet
aujourd’hui que le cyprès s’est brisé.
Et moi, je me suis dit:
Nul mystère,
le cyprès s’est brisé, un point c’est tout.
Le cyprès s’est brisé !

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