Je m’étais bien promis de rédiger cette semaine un kaléidoscope. Après avoir longtemps hésité j’avais jeté mon dévolu sur Alberto Manguel dont j’ai narré samedi dernier l’anecdote tragi-comique sur Ralph Waldo Emerson.
Pour ce faire, j’avais commencé à relire son indispensable Histoire de la lecture, essai passionnant publié il y a maintenant 22 ans. Et puis son Journal d’un lecteur, non moins indispensable à tout lecteur qui se respecte, ainsi que le tout dernier intitulé Monstres fabuleux et autres amis littéraires, une galerie de portraits présentant aussi bien le monstre de Frankenstein que le petit chaperon rouge, le capitaine Nemo, Long John Silver et une trentaine d’autres personnages légendaires de la littérature mondiale.
Mais on ne plonge pas impunément dans les puits de science d’Alberto et je n’ai cessé de remettre à plus tard la rédaction de ce kaléidoscope.
Je me dis seulement que j’ai peut-être aiguisé votre curiosité. Tiens! De la curiosité est l’un des derniers livres d’Alberto Manguel!
Je me dis aussi que je suis “mûr” pour écrire un kaléidoscope sur la procrastination dont le Dictionnaire historique de la langue française du sieur Robert nous apprend que le mot est emprunté à la Renaissance au latin procrastinatio ( ajournement, délai), de procrastinare ( remettre une affaire au lendemain) , verbe lui-même dérivé de l’adverbe crastinus ( de demain, à demain). Vous aurez compris que ce mot remis à la mode au XIXe siècle indique la tendance à remettre au lendemain des décisions à prendre ou leur exécution, à la journée, à temporiser.
Je ne vais pas cependant pousser aussi loin le bouchon de la procrastination et ajourner la promesse que j’ai faite la semaine dernière de vous narrer l’anecdote relevée par Alberto Manguel dans ses petites histoires de la littérature américaine.

Tennessee Williams et un ami prenaient un verre dans un bar quand une blonde plantureuse, assise avec son mari à une autre table, reconnut Williams et s’approcha. “Monsieur Williams, dit-elle, j’ai pour vous une grande admiration, et j’aimerais avoir un autographe de vous sur mon téton gauche.” Et à l’ahurissement général, Elle sortit son sein gauche de sa blouse. Williams, qui n’était plus tout à fait sobre, pris son porte-plume et s’exécuta. Quelques instants plus tard, le mari outragé rejoignit Williams et son ami. Il baissa la fermeture éclair de son pantalon, en sortit son pénis et le posa sur la table. “Maintenant, mettez votre autographe là-dessus.” Williams regarda le pénis, réfléchit et puis répondit : “Eh bien, mon autographe je ne peux pas. Mais mon paraphe, si vous voulez.”

La semaine prochaine, promis je vous parle de l’ami Alberto et de ses livres. Et que celui qui n’a jamais procrastiné me jette la première pierre.

Et, en prime, mon neuvième kaléidoscope!

                                      Kaléidoscope 9: Cecilia

Sous les saules

je te porte dans mes bras et je te sens vivre.

Ensuite nous sortons dans la lumière et, pour la première fois,

tu vois le ciel et tu le montres et tu le nommes.

C’est vrai ; tout au bout de tes mains

le ciel est grand et bleu.

C’est à travers les yeux de Cecilia, sa petite-fille, à travers son regard que le poète Antonio Gamoneda décrit, avec les mots du quotidien, le monde.
Ce recueil, en édition bilingue, magnifiquement édité par les éditions Lettres Vives, dans la collection Terre de poésie, est comme le dit Jacques Ancet, le traducteur ” une parenthèse heureuse dans l’œuvre sombre et tourmentée d’Antonio Gamoneda.”

Sur l’étang

les colombes tournent autour de ta tête.

Quand leurs ailes frôlent tes cheveux, je me penche et je vois ta clarté dans l’eau

et je suis dans ta clarté et je ne me reconnais pas :

je suis auréolé de colombes

à l’intérieur de l’eau. En toi.

Plongez-vous dans cette poésie transparente, dans ce bain de jouvence qui nous fait regarder autrement le monde.

Comme si tu te posais sur mon cœur, qu’il y avait de la lumière dans mes veines et que doucement je perdais la tête ; tout est certitude dans ta clarté :

tu t’es posée sur mon cœur,

Il y a de la lumière dans mes veines,

j’ai doucement perdu la tête.

CECILIA
d’ ANTONIO GAMONEDA

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *