J’avais lu, au siècle dernier, un livre qui m’avait impressionné par sa force, par son intensité, et pour tout dire, par son incontestable nécessité. Il est des livres dont vous percevez immédiatement que l’auteur n’avait pas d’autre choix que de l’écrire .
Jacques Roumain a terminé GOUVERNEURS DE LA ROSÉE à Mexico le 7 juillet 1944… et il est mort le 18 août à Port-au-Prince où il était né 37 ans auparavant.
En le relisant dernièrement, j’ai été frappé à nouveau par cette langue au lyrisme généreux, qui charrie des émotions d’une forte intensité. On est bouleversé par le destin de Manuel, fils de paysans haïtiens, qui a dû s’exiler à Cuba pour travailler durement dans les plantations de canne à sucre.
De retour au pays il est résolu à ne plus être une “pâte résignée ” et à devenir le “boulanger de sa vie”. Son village de Fonds-Rouge est ravagé par la sécheresse et divisé par des haines ancestrales. Porté par l’amour qu’il éprouve pour la solaire Annaïse ,Il fera tout pour lui redonner vie et découvrira enfin une source. Mais il est nécessaire que toute la communauté surmonte ses divisions pour organiser un ” coumbite” ( travail agricole collectif ) pour amener l’eau jusqu’au village…
GOUVERNEURS DE LA ROSÉE est un roman profondément enraciné dans une langue charnue, charnelle, le créole parlé par ces paysans haïtiens pour qui le vaudou avait encore plus d’importance que la religion chrétienne.
Dans la belle collection de poche des éditions Zulma où le livre a été réédité , Jacques Stéphen Alexis, immense écrivain haïtien qui connut lui aussi un destin tragique, dit à propos de Jacques Roumain ” Ce qui caractérisait ce jeune fauve aux yeux rêveurs, c’était le mépris absolu du danger, l’oubli de soi quand il s’agissait de la patrie (…) traqué, bastonné, torturé, emprisonné combien de fois, Jacques Roumain reprenait à chaque fois sa place de combat comme une bête de race, avec une détermination qui faisait frémir ses bourreaux eux-mêmes.(…) Jacques Roumain a écrit un livre qui est peut-être unique dans la littérature mondiale parce qu’il est sans réserve le livre de l’amour.”
Et pour finir, quelques bonheurs d’écriture de ce livre bouleversant :
“Le ciel, c’est le pâturage des anges”.
“Le rire de Délira était étonnamment jeune, c’est qu’elle n’avait pas tellement l’habitude de le faire entendre, la vie n’est pas assez gaie pour ça ; non, elle n’avait jamais eu le temps de trop l’user: elle l’avait préservé tout frais, comme un chant d’oiseau dans un vieux nid”.

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